Simple hasard de la programmation ou pas ? Il est amusant (façon de parler !) de voir les films de Michael Haneke et de Wim Wenders (tous deux présents au dernier festival de Cannes) sortir simultanément sur nos écrans. Encore qu’à l’heure ou j’écris ces lignes, The end of violence de Wim Wenders soit en attente d’un nouveau distributeur ; Ciby Distribution, chargé de le sortir, s’étant subitement retiré de la compétition. Pour le moment, sa sortie semble néanmoins maintenue au 14 janvier. Alors sortira, sortira pas…

Mais là n’est pas le propos. Celui des deux films par contre est d’apporter une réflexion sur la violence au cinéma. Et ces deux réalisateurs d’Europe de l’est (Haneke est Autrichien, Wenders Allemand) le font d’une manière diamétralement opposée.

Faut-il la montrer cette violence pour la condamner ? C’est la grande question que se posait la Croisette en mai dernier (Assassin(s) de Mathieu Kassovitz la posait du reste aussi à sa façon). La polémique et la passion retombées, la vision de Funny games et de The end of violence semble démontrer que la force de suggestion est plus forte que la démonstration.

C’est à une mise en abîme qu’on assiste dans The end of violence, dont le personnage principal est un producteur de cinéma. Mike Mass (Bill Pullman) a fait fortune avec des productions violentes et s’y retrouve lui même confronté pour la première fois. Les questions qu’il se pose à cette occasion l’obligent à reconsidérer sa vie… Vous l’aurez compris, c’est une fois de plus de rédemption dont il s’agit. Dommage que la manière de l’aborder ne soit pas des plus subtile. La démonstration finale est même franchement indigeste, ce qui surprend de la part de Wenders.

Plus intéressante est la partie du film concernant la projection dans l’avenir, avec le personnage joué par Gabriel Byrne. L’acteur Irlandais incarne Ray Bering, un ex scientifique de la NASA qui installe un laboratoire top secret sur les hauteurs de Los Angeles pour mettre fin à la violence telle que nous la connaissons. Témoin de meurtres sur ses écrans de contrôle, il prend peu à peu conscience qu’il est lui même observé. Big brother is watching you…. 1984 et Orwell ne sont pas si loin.

Wim Wenders se contente d’observer la montée de la violence. Malheureusement, jamais où presque on ne se sent concerné par le destin de ses personnages. Son film est un constat aride et assez peu convaincant sur l’impératif besoin de violence dans le cinéma d’aujourd’hui. On a connu le réalisateur de Paris Texas et Les ailes du désir plus inspiré.

Funny games, quant à lui, est un film d’une force et d’une noirceur totale.

Dés le générique, Michael Haneke distille quelques détails à peine perceptibles mais annonciateurs d’une violence froide et implacable. Les membres d’une petite famille bourgeoise en vacances, deviennent rapidement les victime de deux jeunes hommes d’apparence courtoise et anodine venus leur emprunter des oeufs et qui leur annonce sans plus de manière qu’il leur reste moins de 12 heures à vivre. A partir de là, le cauchemar commence. Construit comme un thriller, Funny games s’appuie sur une mise en scène d’une précision diabolique où l’humour noir et la violence le disputent à une certaine forme de distanciation. Michel Haneke suggère toujours l’immontrable (Bertrand Tavernier pour l’appât utilisait cette même forme de suggestion pour certaines scènes) par des regards, des interrogations et c’est terrifiant. D’autant que l’on ne saura jamais rien du mobile de cet acte crapuleux, si ce n’est une vague explication (pourquoi, pourquoi pas?) en forme de boutade des deux jeunes tueurs. Des tueurs qui prennent leur temps.

Le spectateur lui, à l’image des victimes, ne souhaite qu’une chose : en finir au plus vite, tant l’expérience est douloureuse et désagréable. On ne parle là presque plus de cinéma. Le film tient plus de la torture psychologique que du plaisir cinématographique. C’est à nous, spectateur, de faire une partie du chemin. C’est assez rare de ne pas être passif devant l’écran pour être signalé, même si le propos dérange. C’est également le cas avec Regarde la mer (toujours à l’affiche dans de trop rares salles) de François Ozon.

Habitué à la controverse (de benny’s vidéo à 71 fragments d’une chronologie du hasard, ses films ne laissent jamais indiffèrent) Michael Haneke nous propose avec Funny games un objet filmé, différent, ambigu, pervers, qui force le spectateur à s’interroger sur son propre rapport à la violence et à son esthétique. Si l’expérience est passionnante, elle peut mettre franchement mal à l’aise et vous laisse sonné à la sortie de la salle. Certains ne le supportent pas. C’est certainement là, la limite de ce film mais aussi toute sa force.

Une dernière coïncidence pour terminer, Funny games et The end of violence sortent le même jour (le 14 janvier) que… U-turn, le nouveau Oliver Stone qui contient lui aussi son lot de violence (dans une forme disons, plus ludique, à la manière d’un Tarantino). Ca nous rappelle qu’Oliver Stone a lui aussi suscité la polémique autour de la violence, tant dans la forme que dans le fond. C’était pour Tueur né en 94.

Alors, fin de la violence (The end of violence) bientôt au cinéma ? Pour Wenders, il s’agit d’une utopie. Quand à Haneke, Funny games parle pour lui. Le débat reste ouvert. A vous de juger…