Paru au début de l’année dans le monde anglo-saxon, « Miracles of life » sera sans doute le dernier livre de J.G. Ballard. Une autobiographie sincère et sans effet, de ses années d’enfance en Chine jusqu’au cancer qui l’a rongé, avant sa mort (le 19 avril 2009). Lecture en avant-première.

« Je suis né à l’Hôpital général de Shanghai le 15 novembre 1930, après un accouchement difficile que ma mère, une femme mince et de faible stature, aimait me raconter des années plus tard comme si cela pouvait révéler quelque chose de l’inconséquence du monde qui nous entourait ». Ainsi commence Miracles Of Life, l’autobiographie de J.G. Ballard : un objet à part dans sa bibliographie, sincère et sans effet, sorte de confession candide d’un visionnaire exposé très tôt à l’envers du monde et qui sut, à l’âge adulte, en exposer la morbide antimatière. Le cancer contre lequel il s’est battu ces dernières années, dépisté en 2006, n’occupe que les deux dernières pages, et le titre est une référence explicite à ses trois enfants, auxquels le livre est dédié. Ce récit de vie est en fait celui d’une éducation continue, faite d’expériences de première main qui expliquent en grande partie son anticonformisme – celui d’un écrivain beaucoup plus isolé du monde des lettres que ne le laisse penser la notoriété récente que lui ont value les adaptations cinématographiques de Spielberg (L’Empire du soleil) et de Cronenberg (Crash). Empire du soleil, précisément, son roman initiatique à Shanghai dans les années 1940, lui avait déjà permis de faire le tour de son enfance. Dans Miracles of life, il revient par le détail sur ces premières années asiatiques qui « culminent », comme il le dit, avec l’occupation japonaise. Ballard n’est pas tendre envers ses compatriotes émigrés, généralement alcooliques (un moyen, selon lui, de se préserver des épidémies) et incapables de comprendre le déclin de l’Empire britannique, battu à la fois en Europe et sur le front asiatique. De la vie à Lunghua, le camp où il fut emprisonné avec sa famille pendant deux ans, il retient malgré tout la joie et l’exaltation d’une existence libérée de toute contrainte : « Lunghua était peut-être une sorte de prison, mais c’est une prison où j’ai trouvé la liberté ». Les années qui suivent son retour en Angleterre, quant à elles, sont essentielles. Le jeune Ballard étudie la médecine à Cambridge et prend des cours d’anatomie : ce sont les années « les plus importantes » de sa vie, celles où il apprend enfin à « cadrer » son imaginaire. En1953, il s’inscrit à une formation de la Royal Air Force ; on l’envoie sur une base militaire de l’OTAN au Canada, où il dévore les magazines américains et toute la fiction qui lui tombe sous la main. Subjugué, il découvre ainsi la « forme » qui deviendra la sienne : « La science-fiction, écrit-il, avait une vitalité extraordinaire. Elle reconnaissait un monde dominé par la publicité et la mutation des démocraties en agences de relations publiques ». C’est à cette époque que se forme sa vision de la civilisation moderne, cette civilisation « de voitures, de bureaux, d’autoroutes, de compagnies aériennes et de supermarchés » qui fournira par la suite la matière brute de ses livres, à commencer par ceux de la « Trilogie du béton » (Crash, I.G.H. et L’Ile de béton). Ballard rappelle aussi, à sa manière détachée et lucide, combien la fiction qu’on publiait dans les années 1950 était indifférente à ces mutations capitales. « Personne, dans les romans de Virginia Woolf, ne faisait le plein d’essence ; personne chez Sartre ou Thomas Mann n’allait chez le coiffeur et, dans les romans d’Hemingway après-guerre, personne ne se souciait de l’exposition prolongée à l’imminence d’une guerre nucléaire. La matière fictionnelle de ces auteurs était avant tout eux-mêmes, et ce “Moi” qui se situait au cœur du modernisme avait désormais un rival de poids : le monde de tous les jours. C’est cet espace que la science-fiction avait investi comme champ d’exploration ». On sait l’usage qu’a fait Ballard de ces réflexions : comme Philip K. Dick, il a su se détourner de la robotique et de l’aventure spatiale pour réconcilier science-fiction et anticipation, ramener le thème de l’aliénation de l’homme face au réel vers la sphère individuelle et intime. De ces pages autobiographiques qui, peut-être, seront son dernier livre, émane finalement l’impression que Ballard est avant tout un homme curieux : un exilé dans son propre pays, en avance sur son époque. Et un écrivain à qui son expérience chinoise aura laissé une trace de délicieuse exubérance.

Miracles of life, de J.G. Ballard
(Fourth Estate)