Pour la sortie conjointe du livre Underground, l’Histoire et de la compilation Underground moderne, nous avons rencontré Jean-François Bizot, patron de la galaxie Actuel/Nova, ce grand foutoir où l’on retrouve depuis 30 ans, pêle-mêle, comics de Crumb, esprit communautaire gonguesque, drug-culture post-Kesey, baroque bordelo 80 façon Jean-Paul Goude et Rita Mitsouko, reportages gonzos, banlieues zulus, Laurent Garnier et le dandysme minimaliste d’Ariel Wizman et Edouard Baer. Renaître, toujours renaître : « Celui qui n’est pas occupé à naître est occupé à mourir. Merci George Harrison.

Jean-François Bizot : Pourquoi tu ramènes ce vieux truc ? (désignant un vieux numéro spécial d’Actuel, le n°100 « 1977-1987 », ressorti pour l’occasion). Tu ne t’es pas servi de l’invitation pour la Fête futuriste à la Gare de Lyon en 1987. Tu étais trop jeune ?

Chronic’art : Non, je l’avais suivi sur Antenne 2. Tu présentais la soirée avec les Rita Mitsouko et Django Edwards. Tout semblait improvisé, c’était vraiment délirant de voir ça à la télévision.

En fait, c’était parti en couille pour une raison simple : ils avaient programmé la soirée une demi-heure après l’heure prévue, donc tout était décalé, on ne s’y retrouvait plus. En plus, on ne voyait pas les pubs sur le moniteur de contrôle, on ne savait jamais quand on devait prendre la parole. A revoir, c’est assez drôle. C’était fou. C’était un gros effort, ça prend des mois et après tu panses les plaies.

Au niveau fatigue ou financier ?

Au niveau des ronds. On avait eu du bol parce que la SNCF avait joué le jeu. Elle nous avait prêté les locomotives pour faire un concert de locomotives. Un vieux fantasme, je ne sais pas pourquoi… Nicolas Frize, ça l’a fait marrer et il a accepté de diriger ce concert futuriste de locomotives. On a eu la gueule de bois mais c’est pas grave, c’était marrant (rire).

En relisant ce numéro d’Actuel, j’ai bien aimé revenir sur la décennie 1980. Il y a plein de choses intéressantes qui n’ont pas été abordées dans le livre Underground, l’histoire.

Parce qu’on a bien du s’arrêter quelque part. Déjà, on avait cent pages de trop, et puis la poussière n’est pas encore retombée. Si, elle est retombée jusqu’en 88 environ. J’ai mis les portes d’entrée du rap et de la house. Après il y a des milliers de trucs. Pour entrer dans les détails, il faut demander à Laurent Garnier. Je lui ai fait faire un article là-dessus. Mais c’est un autre livre.

Les années 60-70 ont déjà été abondement traitées dans des ouvrages antérieurs.

On est remonté avant et puis on a reproduit les textes originaux, ce n’est pas un commentaire X. Ce qui me faisait marrer, c’est la variété des points de vues et puis l’histoire vue par les gens eux-mêmes. C’est aussi une question de jonction de générations. En gros, le choix des textes du livre a été largement fait par des mecs de 25 ans -enfin les premières approches- et évidemment, ça faisait un saut de ma génération aux 25 balais. Je ne voulais pas me mettre sur la génération intermédiaire car ils avaient plus d’éléments de jugement. Ils ont choisi la première moitié des documents dans les archives d’Actuel et c’était assez drôle pour moi de les regarder regarder (rire), parce qu’il y a des trucs que je n’aurais pas gardé. Je n’ai pas le même recul, j’ai du recul sur la période évidemment, mais il y a des trucs que je n’aurais pas mis dans le livre parce qu’ils me rappellent des événements précis, une histoire que je ne veux pas revoir passer. Donc, c’était amusant comme dialogue. Ça a duré plusieurs mois.
Y-a-t-il des documents sonores ou audiovisuels dans les archives d’Actuel ?

Beaucoup.

Pourquoi ne t’en es-tu pas servi pour la compilation Underground moderne ?

Pour les voix, on n’a pas eu le temps de retrouver les mecs pour demander les autorisations. Qui a les droits de Kerouac ? Je n’en sais rien. La compile Beat Generation (Rhino Records) est vachement bien, elle existe, on ne peut que la recommander. Elle est remarquable, ça donne envie de faire des trucs comme ça mais on n’avait pas le temps. On s’est dit au dernier moment, sortons quand même un CD, mais le temps d’avoir les droits… Une autre fois.

C’est dommage car il y a pas mal de titres dans ta compilation qui ont déjà été redécouverts, en France ou à l’étranger, depuis quelques années.

Il y a quelques trucs que les gens n’ont pas quand même. Ils n’ont pas tout. Ca dépend qui. Agitation Free, Silver Apples, le premier Heldon ce n’est pas évident, c’est assez dur à trouver, Mutabaruka, aussi. Je suis navré de ne pas avoir sorti des trucs plus pointus. Les mecs branchés musique connaissent les deux tiers des morceaux. En fait aujourd’hui, c’est l’essentiel de ce qu’ils connaissent. C’est super marrant la culture parce qu’une certaine ignorance est devenue underground. Tu te trouves en face d’un mec, il va connaître Silver Apples et des trucs comme ça. Tu passes une heure en face du mec et tu te dis : « Merde ! ils savent vachement de trucs maintenant, il m’a fallu des années pour connaître ça ». Mais si tu changes de sujet de conversation -ce que j’ai appris à faire récemment-, tu pars dans la littérature soufi ou dieu sait quoi, ça se raréfie. Gros taux de raréfaction. Et je m’en suis aperçu assez récemment. Tu parles avec un mec pendant trois-quart d’heure de musique : tout va bien. Le cinéma doit tenir à peu prés la route mais la littérature et la philosophie, n’en parlons même pas ! C’est marrant parce que nous, on voulait s’arracher de ça, de la grande culture, mais on en était bien truffé.

Il n’y a pas vraiment de cohérence dans la lecture du CD Underground moderne.

Non, la seule cohérence que je voulais c’était dans l’électronique. Mais je n’ai pas pu, je n’ai pas eu les droits. Je n’ai eu les droits de Kraftwerk qu’après la date de parution du CD : ce sont des amis, je les ai eus. Par contre, je n’ai pas eu les droits de Neu !. Ça fait longtemps que je voulais faire la compile de l’Original Techno ou de l’Original Ambient comme j’appelle ça, mais bon, mes patrons n’ont pas voulu. Je te jure (rire) ! Ça peut te faire rire mais c’est vrai ! Je me suis fait envoyer chier deux fois. Donc là je me suis dit : « Fuck, je sors le bouquin, je vais quand même sortir quelques morceaux ». On a été un peu vite, ce n’est pas exactement ce que je voulais faire il y a trois-quatre ans quand on m’a dit que cela n’avait aucun intérêt, quelque Dj que je ne nommerai pas à Nova, choisis celui que tu veux (rire) ! C’est aussi un problème de disponibilité. Il y a de la matière dans la discothèque quand on fouille quand même.

Tu a réussi à conserver ta discothèque ?

Plus ou moins parce que ma discothèque est à Nova…

Il n’y a pas eu trop de fauche ?

Si. Il faut beaucoup d’abnégation. C’est très underground comme attitude ! Pas mal de trucs sont partis, j’ai du en racheter pas mal quand j’y pense et quand je les vois… Il y en a qui sont partis à la période de l’acid-jazz et au début du rap, quand ils mixaient la nuit à Nova. Un certain nombre de groupes de rap assez connus aujourd’hui, voire très connus, que je ne nommerai pas…

Propos recueillis par

Lire nos chronique de Underground moderne (la compile) et Underground, l’Histoire (le livre)