Après « United Emmerdements Of New Order » (POL, 2002), Jean-Charles Massera continue de détourner des discours avec « We Are L’Europe » (Verticales), une fiction à sketches (adaptée actuellement au théâtre par Benoît Lambert), prétexte à mille digressions naïves, cyniques ou satiriques. Des sujets divers discutés et débattus entre personnes un peu larguées par la complexité du monde en crise.

Chronic’art : Pourquoi confronter des points de vue de l’hyper-global à des situations hyper-locales ?

Jean-Charles Massera : Tout simplement parce que nos conditions de vie et d’expériences, la manière dont nous nous projetons, sont en grande partie déterminées, conditionnées, par des logiques, des forces, des intérêts, des lois qui relèvent de cet « hyper-global ». La mondialisation des échanges et des informations est éprouvée localement et intimement, ce n’est pas une abstraction. Donc, pour moi articuler l’hyper-global et l’hyper-local n’est pas ni un choix ni une figure de style, mais une nécessité. Il n’y a pas de local décontextualisé.

En faisant dialoguer tous ces « mecs » et toutes ces « nanas », « hommes sans qualité », sur des sujets à la fois profonds (politique, société, philo, sexe) et superficiels (cuisine, rollers, baskets, etc.), on a le sentiment que tout est déhiérarchisé…

Je ne cherche pas à tout déhiérarchiser, plutôt à poser la question du « comment rebondir ? » à partir d’ici maintenant, à poser les questions qui sont liées à cette question fondamentale à partir de là où nous en sommes concrètement dans nos vies, donc à parler de ces sujets « profonds » à partir de notre temps vécu, de nos expériences de vie, de l’espace-temps ordinaire. Je ne cherche pas à penser la cuisine ou le roller, mais on peut penser sa situation, sa condition, dans sa cuisine ou quand on fait, et de la manière dont on fait, du roller. La seule chose de l’époque qui est révélée, ou plutôt travaillée, c’est le désarroi collectif qui nous frappe ; le but n’est toutefois pas de désigner ce désarroi, mais de partir de lui pour se projeter dans des possibles, même si pour se projeter ailleurs et autrement il faut ramer.

We Are L’Europe, comme United Emmerdements Of New Order, n’est-il pas un manifeste joyeusement nihiliste sur l’air du temps ?

Non, rien de nihiliste là-dedans… Enfin j’espère. On ne fait rien avec du nihilisme, c’est même la porte ouverte au pire, la porte ouverte au détachement suprême, au « de toute façon… ». Non, il s’agit vraiment de dépasser le constat, la désignation de la catastrophe ambiante. We Are L’Europe est une sorte d’encouragement à la reconstruction d’un autrement. Un feu d’artifice de pistes modestes, d’appels à essayer.

Jean-Charles Massera, honnêtement, on est mal ? Comment ça marche, et qu’est-ce qu’on fait avec ? Quel est le programme maintenant ?

Yes on est mal, très mal et ça commence à craindre vraiment, mais comme on s’est dit avec Benoît Lambert, qui va mettre en scène la pièce We Are L’Europe, j’ai pensé cet objet de bout en bout : non seulement ce n’est pas à l’art de donner des solution mais, surtout, on ne va pas penser à la place des autres.

Propos recueillis par

We Are L’Europe, de Jean-Charles Massera
(Verticales)