« Knock, knock – Who’s there ? ». Un fan de Frère de sang (Basket Case), rappeur (R.A. The Rugged Man), est allé faire toc-toc chez Frank Henenlotter, cinéaste semi-underground qui a aussi réalisé Elmer le remue-méninges (Brain damage) ou Frankenhooker, dont la carrière s’était interrompue avec la disparition des productions indépendantes d’horreur, et qui travaillait ces dernières années pour Something Weird Video, une maison d’édition DVD. Le fan rappeur a produit Sex addict, qui a été tourné avec une équipe de cinq personnes et très peu d’argent, et il y a du rap en sourdine pendant tout le film.

« Knock, knock – Who’s there ? – Oh, for sure – Oh, for sure who ? – But Oh, for sure, I was only doing 40 miles an hour, Sir – Knock, knock ? ». Ce n’est pas du rap, c’est de la novelty (branche comique de la chanson américaine). La voix de canard de Dick Biondi (le « chanteur ») redemande « Qui est là ? », répond, puis enchaîne sur un nouveau nonsense, puis à nouveau Knock, knock, et la chanson de durer, pourquoi pas, à l’infini. Sex addict fonctionne sur un principe apparenté. Au début de chaque séquence, l’hyper-sexe de Jennifer (sept clitoris) ou l’hyper-sexe de Batz (à l’origine un hypo-sexe dopé, devenu hyper-énergique) font toc-toc. Suite à quoi Jennifer fracasse régulièrement la tête de ses amants (toc-toc sur le sol, toc-toc avec une lampe). Pour Batz, c’est plus compliqué. Il scotche son sexe avec du gaffer pour éviter qu’il ne fasse toc-toc aux tables, aux portes. Puis, dans la fureur de l’insatisfaction, son sexe se décroche de son corps et devenu indépendant, va faire toc-toc, mais pas à la porte, dans divers appartements où vivent de belles femmes dénudées. Chaque séquence dure le temps d’une poussée d’adrénaline et finit par un fondu au noir. Sur le principe de cette novelty song, le film va de toc-toc en toc-toc, au défi de la normalité. Seulement, on est de plus en plus ému par la souffrance et la solitude des deux monstres principaux.

« Knock, knock – Who’s there ? – Canteloupe – Canteloupe who ? Canteloupe tonight, my father’s got the car ». « Canteloupe » s’entend « Can’t go out », « Je peux pas sortir », par enchaînement : « Comment je fais pour sortir ? ». Dans le film, l’héroïne a sept clitoris. « Je ne trouve pas d’homme qui m’aime », par enchaînement : « Comment je fais pour trouver l’amour ? ». « Knock, knock – Who’s there ? – Biondi – Biondi who ? Biondi blue horizon ». Le nonsense refuse le sens, mais ne rien vouloir dire n’est pas ne rien exprimer. « Biondi » s’entend « Beyond the ». « Beyond the who ? – Beyond the blue horizon ». Jennifer s’était résignée à ne plus chercher son homme, elle apprend l’existence de Batz et trouve Dieu au-delà de l’horizon bleu. Henenlotter raconte la quête romantique d’un amour démesuré, mais par une forme dévoyée de récit novelty qui progresse par foucades triviales et outrages comiques. Au cinéma, c’est souvent pompeux quand les personnages trouvent l’amour, ou Dieu, dans les sensations de leurs organes. Henenlotter, avec son goût pour les foucades et les outrages, est plus pudique.

« Knock, knock – Who’s there ? – Value – Value who ? – Value get some better knock knock jokes ». « Value » ou « While you » ? Les deux : valeur et durée. La transgression devient la norme. Toujours plus, toujours mieux. Le postulat, pâte à horreur, à farce, à conte de fées, s’il est arbitraire (la fille aux sept clitoris rencontre le Frankenstein de la bite), s’approfondit dans la surenchère et se resserre en des séquences de plus en plus nues et concrètes. Un orgasme peut durer après que le partenaire s’est retiré au bout d’une minute. Même, il peut durer encore quarante-cinq minutes. Cela acquis, il n’y a qu’à regarder, après qu’on a remarqué un costume rose et un ventre vulgaire (de prostituée), la sobriété avec laquelle sont filmés le visage de l’actrice et la petite mort qui fige ses traits, ou son corps déposé agonisant dans un terrain vague. La panique de Batz, responsable de cette extase, ou de cette horreur, ou de cette farce, est filmée de loin, souvent de dos, et l’acteur joue par accès de diatribes murmurées, encore taciturne.

Sex addict, c’est un peu du Tashlin en version Cronenberg. Où mettre les spaghetti quand on est attablé au restaurant face à la fille avec laquelle on a rendez-vous et qu’on n’a pas de bras plâtré ? Jerry, gêné, parle trop et enroule tous les spaghetti autour de son bras (Jerry chez les cinoques). Où se foutre quand on rencontre la fille qui attend tout de vous et qu’on n’a plus de sexe ? Batz, éploré, raconte sa vie consacrée à son sexe (le faire pousser, le choyer, le nourrir), et le sexe de revenir, malade, au bercail. Le romantisme en sus.