La Biennale du cinéma japonais d’Orléans, qui s’est déroulée du 16 au 21 novembre, demeure sans conteste un événement majeur pour les férus de culture nipponne. On y présentait une sélection de fictions, de documentaires, de films d’animation, et même de pub. Un véritable tour d’horizon de ce qui se trame au Pays du Soleil Levant.

Le programme des films présentés résume assez bien les objectifs qui ont dominé la Biennale 1999 : faire découvrir le cinéma japonais d’hier et d’aujourd’hui. A la rétrospective consacrée au vieux maître Kon Ichikawa s’est ainsi greffée un panorama des productions récentes avec en exergue une attention toute particulière pour deux jeunes cinéastes Takashi Miike et l’inévitable Kiyoshi Kurosawa. De l’œuvre de Kon Ichikawa, à propos de laquelle le directeur de la Biennale, Jean Viala, déclare dans sa plaquette de présentation qu’elle est « considérée à tort par beaucoup comme cinéma de divertissement », nous retiendrons deux longs métrage qui témoignent de la longue (soixante-treize films !) et variée carrière du réalisateur. Tendre et douce adolescence (1960) fait partie de ses nombreuses adaptations de romans dont la plus célèbre demeure La Confession impudique (1959) tirée du livre homonyme de Junichiro Tanizaki.

L’histoire imaginée par l’écrivain Aya Kodai permet cette fois au cinéaste de réaliser un film qui condense toute la stylistique de son œuvre. La projection du film fut précédée d’une courte présentation effectuée par Yuki Mori, critique de cinéma au Japon et auteur d’un livre sur le cinéaste. Riche en informations, son petit discours nous apprend notamment comment Ichikawa s’est servi du développement pour rajouter une impression de mélancolie aux images. En laissant des traces de mercure sur la pellicule, le cinéaste crée une lumière fade qui tend presque vers le monochrome. Cette manipulation lui a valu le Prix de la technique au Festival de Cannes 1960. A la fois proche et lointain d’un certain classicisme, Tendre et douce adolescence souligne la finesse du style de Ichikawa, entre sagesse et rébellion. Dans un registre radicalement différent, Tokyo Olympiades est un film documentaire tourné lors des Jeux Olympiques de 1964. Sans aucune arrière-pensée critique concernant l’organisation de ce gigantesque événement, et avec une ferveur presque naïve pour le sport, le cinéaste fonde son film sur la beauté des athlètes et des disciplines considérées comme arts. Souvent animé de belles intentions plastiques (les mouvements des gymnastes filmés sur fond noir), Tokyo Olympiades vaut surtout par le contraste qu’il établit avec nos Jeux Olympiques contemporains. Le film de Ichikawa se fait finalement le témoin d’une ère finissante, celle où le sport était encore sport et non plus spectacle suprême de notre société.

Face au maître, force est de constater que la jeune garde du cinéma japonais ne faisait pas le poids. Hormis Kiyoshi Kurosawa dont la Biennale présentait Vaine illusion (1999), Serpent’s path (1998) et Doremifa girl (1985), aucun cinéaste n’a vraiment brillé. L’intérêt des œuvres présentées dans le cadre du panorama sur le cinéma récent résidait ailleurs, dans le regard porté sur la société nipponne. C’est le cas de L’Ecole des grands (1999) de Yojiro Takita qui raconte les déboires d’un couple de parents qui veut à tout prix faire entrer sa fille dans une école privée prestigieuse. Cette comédie qui pointe du doigt les travers d’une société ultra capitaliste ne s’enrichit presque jamais d’un regard critique. Pire, elle ne cache pas son éloge complaisant de l’esprit d’entreprise inculqué dès l’enfance (la course à la meilleure école comme base essentielle d’une carrière réussie) ou présent dans le sport (atteindre à tout prix la ligne d’arrivée que l’on s’est fixée) qui trouve son plein aboutissement dans la réplique finale (plutôt menaçante) prononcée par l’héroïne âgée de six ans : « On est numéro un ! ».

Jouxtant cette non remise en cause de la société, deux films témoignaient d’un certain refuge dans la tradition. Le Château de la chouette de Masahiro Shinoda, plus gros budget de l’année 1999, est une reconstitution historique mêlée de numérique qui évoque la lutte entre les militaires d’Etat et les mercenaires ninjas au 16ème siècle. Très classique, le film ne nous propose comme enjeu esthétique qu’une simple mise en images d’éléments historiques complexes, une vulgarisation historique en somme. La palme du scénario incongru revient cependant à Takashi Miike pour Les Hommes-oiseaux de Chinequi raconte l’histoire de deux Japonais perdus dans un village de Chine profonde où les habitants ont la particularité de pouvoir voler. A ce retour aux racines culturelles du Japon se mêle une ode très convenue et facile du mode de vie campagnard opposé au stress du rythme urbain. Une certaine contestation sociale est présente dans Kikichiku de Kazuyoshi Kumakiri, jeune cinéaste de 25 ans, même si le film ne se mouille pas trop puisque son histoire prend place dans les années 70 ! Très intriguant, ce film se distingue sans peine de la sélection par son audace thématique et visuelle. La première partie dresse un portrait brillant et sans concession d’un groupe de jeunes gauchistes engagés dans la lutte armée. Mélangeant plusieurs natures d’images, Kikichiku s’approche souvent des recherches expérimentales par sa narration peu orthodoxe. Nos ardeur cinéphiliques se refroidissent tout de même quelque peu quand le film vire brutalement au gore le plus extrême. En adéquation avec la montée de la violence qui structure son film, le cinéaste ose des plans de plus en plus dégoûtants dont le point d’orgue constitue la scène où l’héroïne plonge ses mains dans le cerveau « spaghetti bolonaise » d’un camarade mis à nu par un tir d’obus des plus féroces. Malheureusement, ces excès d’hémoglobine, parfois burlesques, créent une distanciation ennuyeuse entre le spectateur et le film.

Quand la fantaisie côtoie le plus cru réalisme

Parmi les documentaires et les films d’animations qui agrémentaient la sélection de la Biennale, l’événement le plus attendu fut la projection d’un inédit de Isao Takahata (réalisateur du très remarqué Tombeau des lucioles en 1988). Gauche le violoncelliste qui date de 1980 offre un aperçu très représentatif de l’imagination et du talent à l’œuvre dans les dessins animés japonais. L’histoire, à mi-chemin entre la fantaisie enfantine et le conte philosophique, raconte l’apprentissage de la sensibilité musicale d’un jeune musicien. Ce dernier sera guidé dans son travail par les visites impromptues de petits animaux qui sont autant d’occasions d’apprécier les qualités de représentation des animateurs japonais.
Aux antipodes de Takahata, le documentaire Fatherless, tourné dans une qualité vidéo très « amateur », nous plonge dans les affres existentielles d’un jeune homme perturbé dès l’enfance par le remariage de sa mère. Accompagné par une caméra qui le suit dans ses moindres mouvements et ses moments les plus intimes (par exemple, son autoflagellation au rasoir), le héros du film s’expose à notre regard sans aucune pudeur. Non sans éviter un certain voyeurisme (en une série de plans assez crus toute la vie torturée du jeune homme nous est décrite), le film parvient néanmoins à atteindre son but : explorer un cas de non-communication. Ce que stigmatise, en effet, Fatherless, c’est la masse pesante des non-dits qui finissent par créer l’éloignement entre les membres d’une même famille. Dans une tentative touchante, quoi que désespérée, le film offre une seconde chance au jeune homme qui tente de renouer le dialogue avec ses parents afin de crever les abcès. De discussion en discussion, les existences se dévoilent qui empêchent le jugement catégorique, puisque finalement nous trouverons des circonstances atténuantes à chaque protagoniste.

Publicité et société

En marge de la Biennale, plusieurs événements ont quelques peu dynamisé l’ambiance. Outre les expositions des poteries de Sonoko Hakariya et des photos du poète Gôzo Yoshimazu, une série d’ateliers permettaient une approche non cinématographique du Japon, tel l’atelier d’Origami (art du papier plié) ou celui de calligraphie. Cependant, le moment fort de ces quelques jours fut surtout la formidable lecture de poèmes de Gôzo Yoshimazu. Récités par l’artiste lui-même, les textes était accompagnés d’une traduction en français simultanée par Claude Mouchard, ce qui donna naissance à un discours hybride, mélange de langues et de sonorités.
En une série de trois conférences, Jean-Christian Bouvier proposait un regard original et amusant sur la société japonaise par le biais de ses films publicitaires. Ponctuée d’extraits vidéo souvent hilarants, ces séances étaient autant d’occasions de se plonger au cœur de la mentalité collective d’un peuple, symbolisée par les spots diffusés à la télévision, organe de communion tout puissant. Le thème de la place de l’étranger dans la pub japonaise fut particulièrement instructif sur le positionnement de ce pays par rapport à l’Occident. En se fondant sur les images et les symboles nés des publicités, Jean-Christian Bouvier établit un contraste éloquent entre les années 60 et aujourd’hui. Les spots figurant Charles Bronson qui exhibe sa virilité pour le premier déodorant japonais masculin, ou Alain Delon en chasseur massacrant des canards pour promouvoir une marque de chemise, prouvent l’impact des Occidentaux sur l’imaginaire nippon. L’étranger dans la pub des années 60 est forcément classe, élégant, supérieur, reflet d’un certain complexe d’infériorité nippon. Plusieurs décennies plus tard, le phénomène d’acculturation s’étant accompli, le mouvement s’inverse vers un retour aux traditions. Les étrangers dans la pub quittent les cieux de la déification pour redescendre parmi le commun des mortels, ce dont témoigne le spot figurant Leonardo di Caprio en banal ado américain. Pire, ils sont même ridiculisés (Schwarzeneger fait le zouave pour des nouilles en sachet, Vincent Cassel imite un samouraï pour une marque de voiture). A ce propos, saviez-vous que les contrats de ces stars comportent une condition sine qua non qui est de ne pas diffuser leurs pubs hors du Japon ?
Par le grand choix des œuvres qui y sont diffusées, la Biennale du cinéma japonais d’Orléans nous propose une radiographie assez complète d’un Japon vu de l’intérieur, par les images qu’il produit.

Remerciements à Nicole Lambert