Herbert est l’un des musiciens les plus prolixes de la scène électronique. Ce qui ne l’empêche absolument pas d’être particulièrement exigeant. Il sort aujourd’hui un troisième album, Bodily functions) son disque le plus jazz où se mêle ses pseudos Herbert, Dr Rockit, Wishmoutain et Radio Boy. Portrait d’un schizophrène léger.

Matthew Herbert est un intouchable, de cette haute caste d’artistes qui engendre l’unanimité. House, electronica, techno ou pop, l’Anglais séduit les auditeurs de tout genre, fait bien rare quand le cloisonnement des scènes persiste. Un musicien artisan du consensus ? Jamais, sous aucun de ses pseudos (Herbert, Dr Rockit, Wishmountain ou Radio Boy), Herbert n’a semblé s’inscrire dans une telle démarche mainstream. Il est même un des musiciens les plus exigeants, de ceux qui vomissent la facilité. Celle des autres tout d’abord. « La majorité des musiciens électroniques sont devenus paresseux. C’est tellement facile de créer un morceau house. Avec les logiciels, c’est fait en trois minutes. Tout le monde utilise les mêmes sons préprogrammés. Comment veux-tu apporter quelque chose d’original avec ça ? La techno était excitante au début. Maintenant, toutes les combinaisons de sons qu’un ordinateur peut donner sont connues, il faut passer à autre chose. » Mais la paresse qui effraie le plus Herbert, c’est la sienne. Il va jusqu’à publier sur son site Web un dogme musical baptisé PCCOM (Personal contract for the composition of music). « Pour me forcer, dès que je mettrai le pied dans un studio, à être le plus original possible. » Un contrat où le Londonien s’interdit l’utilisation de samples de la musique d’autrui, de boîtes à rythmes, d’effets ou de sons préprogrammés dans les machines, et va jusqu’à noter scrupuleusement le lieu, la date, la source et les conditions d’enregistrement de chaque son utilisé Herbert aurait-il l’ambition de devenir le Lars von Trier de la musique ? « Non, ce contrat m’est d’abord destiné. Après, tant mieux si d’autres s’y retrouvent. Je pense de toute façon qu’un grand débat s’impose sur la composition musicale. Pourquoi sampler des sons que d’autres ont créés, pourquoi continuer à revisiter le passé alors que futur est entre nos mains ? »

Obsédé par le son inédit, Herbert utilise sur son dernier album (Bodily functions) des sons créés à partir du corps humain. Un exercice méticuleux pour un musicien qui refuse éperdument de se prendre au sérieux : notre homme arrive à cheval sur scène, tape sur des pots de yogourts pendant son live, etc. « Mes travaux sous Wishmountain et Radio Boy sont plus difficiles d’approche, plus bruitistes et expérimentaux. Mais avec mon projet Herbert, si la démarche est devenue expérimentale, le résultat ne s’en ressent pas. »

L’histoire musicale de Matthew Herbert commence dès sa naissance, en 1971, entouré d’un père technicien à la BBC passionné de techniques sonores. A 4 ans déjà, il prend des cours de piano et de violon, chante à la chorale et acquiert sa plus grande leçon quelques années plus tard, à l’école primaire. « Mon professeur de musique classique était une personne incroyable. Il me démontrait des similitudes entre Steve Reich et Beethoven, entre Queen et Bach. Ca a marqué à vie ma perception de la musique. » Il sort ses premiers disques en 1995. C’est avec son nom de famille qu’il connaîtra estime et succès. En un an à peine, sur le label Phono, sa série de maxis Part apporte une bouffée d’air frais dans le courant house.
Une musique très groove, très dansante, mais très minimale, marquée par un traitement incisif des rythmiques et surtout caractérisée par un tempo très lent, quasiment impraticable pour les Dj’s comparé à la vitesse moyenne des sorties de l’époque. Après son premier véritable album, 100 lbs, sorti en 1996, il enchaîne les productions pour le label Phonography. Dont l’album de la notoriété, celui sur lequel la presse, unanime, s’enthousiasme : Around the house, bel album deep et mélancolique. Les lumières tournées vers lui, les demandes de remixes pullulent, et le garçon se révèle une âme polygame. Christian Vogel, I:Cube, Recloose, Mr Oizo, Moloko, Demon, Serge Gainsbourg (pour la compilation I Love Serge) ou… Axel Red passeront entre ses mains. Le garçon est à la mode, la mode s’intéresse à lui. Il accepte une commande de morceau de Yves Saint-Laurent pour illustrer un défilé (Cafe de Flore, morceau finalement refusé mais sorti sous le nom Dr Rockit sur son label Lifelike). Pourtant, l’Anglais revendique son indépendance, et lance en 2000 une série de labels : Soundslike pour Herbert, Lifelike pour Dr Rockit et Accidental pour Radio Boy, et fustige les majors : « Ce que représente une major, la manière dont elle vend la musique, n’a absolument rien à voir avec moi, ma manière de vivre. Je n’ai rien en commun avec ces gens-là, alors pourquoi leur donner quelque chose d’aussi précieux et personnels que mes émotions. C’est une industrie de merde. »

A côté d’Herbert, l’homme poursuit des projets moins populaires. Dr Rockit, initialement plus axé jazz, a tendance aujourd’hui à se rapprocher d’Herbert (l’album Indoor fireworks sur Lifelike, 2000), mais demeurent Wishmountain et Radio Boy. De 95 à 97, Wishmountain sera un projet très expérimental, pensé pendant ses études musicales à l’université, et référence directe à John Cage et l’utilisation de sons concrets dans un environnement rythmique, en l’occurrence dans le contexte d’une musique de club. En résulte une musique proche d’une techno industrielle, violente et brutale, obsédante et hypnotique, sur Warp ou Antiphon. En 1997, « j’ai tué Wishmountain pour créer Radio Boy ». Le principe est proche, et l’objectif consiste à cacher au mieux l’origine du son utilisé. La règle : « Une seule et même source sonore par morceau. Si j’utilise le son de ce verre d’eau, tous les sons du morceau devront provenir de ce verre d’eau. » Pour soutenir ce projet, il crée le label Accidental, où apparaît le duo Matmos (sous le pseudo « The Soft Pink Truth »), et où sont annoncés Si Begg et Richard Devine…

Ces projets influencent indéniablement la rédaction de son dogme, notamment autour de l’idée d’accident dans la composition musicale « Echouer encore, échouer mieux (Samuel Beckett, ndlr) pourrait être ma ligne de conduite. L’erreur dans le processus de composition est essentielle, car l’erreur est unique, on ne peut la reproduire, elle est involontaire, et c’est ce qu’il y a de plus intéressant à exploiter. C’est une idée qui a plus rapport avec la vie. La vie est une série d’accident, l’accident est humain, et c’est cette humanité qui m’intéresse. » Une idée d’humanité parfois supérieure à ses propres intérêts commerciaux, quand en page d’accueil de son site web il préfère fustiger le désengagement de George Bush Jr des accords de Kyoto, plutôt que d’afficher la sortie de son nouvel album. « De toute façon, si je n’étais pas musicien, je conduirais un bateau pour Greenpeace ou bien je tuerais Henri Kissinger et deviendrais célèbre dans l’histoire pour ma bonté. »

Propos recueillis par

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