Avec un titre imprononçable et un pitch pour adolescents attardés, « Gurren Lagann » n’avait rien pour séduire. C’est pourtant la meilleure série d’animation japonaise depuis le début des années 2000.

L’animation japonaise destinée à la TV n’avait plus tenu ses promesses : entre adaptations sans génie de mangas à succès, fausses bonnes surprises (Samouraï Champloo) et vraies déceptions (Wolf’s rain), chaque année voyait débarquer son lot de séries parfois somptueuses visuellement, sans que l’une d’elles ne ranime la flamme attisée par Cowboy Bebop ou Evangelion. Dans ce contexte, la sortie française de Gurren Lagann est un événement. Enfin un spectacle extraordinairement jouissif, susceptible de titiller les rétines des fans élevés à Goldorak et Albator.

Les Otakus au taquet

Gurren Lagann s’affirme comme la quintessence et la relecture post-moderne d’une certaine animation japonaise : celle des robots géants qui s’assemblent entre eux jusqu’à atteindre des proportions gigantesques ; des héros indomptables qui hurlent le nom de leurs attaques spéciales jusqu’à se déchirer la gorge; des combats dantesques dont l’enjeu est rien moins que la survie de la race humaine… Un type de récit totalement régressif, excessif, dénué de toute morale, aussi éloigné que possible des fables de l’Oncle Miyazaki. Autrement dit : amis du bon goût, passez votre chemin ! Gurren Lagann possède en effet les trois ingrédients de la série pour otakus : 1- Une attention maniaque portée aux éléments mécaniques (robots, armes, vaisseaux spatiaux, véhicules, etc.). 2- La présence de personnages féminins obéissant à deux schémas-directeurs : la jolie fille exubérante, dont la poitrine opulente tressaute au moindre mouvement, et la fille-enfant discrète et rougissante, dont les caractéristiques sont désignées sous le terme « moé ». 3- Des clins d’œil scénaristiques et visuels aux classiques du genre (dont Yamato, Gundam et Ideon), et plus largement à l’animation TV japonaise des années 70, incluant la série de boxe Ashita no Joe. Ce type de récit porte un nom : « nekketsu », qui signifie littéralement « sang brûlant ». Il s’applique à toute série présentant des personnages exaltés, dont les poses et les prises de paroles grandiloquentes témoignent d’un courage et d’une volonté sans faille, les poussant aux limites de l’autodestruction.

Du sous-sol aux étoiles

Présenté ainsi, Gurren Lagann est indéfendable : ce type de programme est destiné aux pré-adolescents et, par extension aux otakus, complaisamment brossés dans le sens du poil par un « fan service » qui consiste à leur donner ce qu’ils attendent, des bastons de robots et des scènes coquines. Gurenn Lagann vaut mieux que cela. La série propose au fil de ses 26 épisodes une montée en puissance dramatique sans équivalent à notre connaissance. Procédant par ruptures et ellipses temporelles successives, le récit fait progresser les héros du sous-sol, où la civilisation humaine se trouve reléguée par des oppresseurs monstrueux, vers la surface puis au-delà, vers les étoiles. Evoquant le mythe de la caverne de Platon, Gurren Lagann se veut une ode à l’esprit d’initiative et à la détermination de l’espèce humaine, symbolisé par le motif omniprésent de la spirale, amenant ses représentants à repousser sans cesse les limites de l’impossible. Le spectateur ne sera pas déçu : la série culmine avec une bataille spatiale de deux heures, ou l’ultime avatar du Champion mécanique des humains jongle avec les galaxies. Cette progression s’accompagne d’une évolution du ton, la légèreté cédant peu à peu la place à la gravité – sans tomber dans les excès neurasthéniques à la Evangelion –, au fur et à mesure que les héros apprennent à assumer la lourde responsabilité de sauveurs de l’Humanité, qui coûtera la vie à certains d’entre eux.

La « patte » Gainax

Sur le plan formel, ce message naïf mais exaltant est relayé par une animation et une mise en scène magnifiant les actions d’éclats des personnages et de leurs robots. Ils se contorsionnent, se transforment, fusionnent, sans le moindre souci de réalisme. La seule force motrice des robots : l’esprit combatif de leurs pilotes, ce qui permet aux animateurs de se lâcher en dotant les mechas d’attributs disproportionnés et évolutifs, telle l’immense vrille qui pousse subitement au bout du bras d’un d’entre eux. Hiroyuki Imaishi (Dead leaves) pilote la série. Son style graphique hors-norme semble ici édulcoré pour coller aux codes de l’animation japonaise « grand public », mais on le retrouve dans les eye-catch (illustrations qui ponctuent la coupure publicité à la mi-temps de l’épisode), l’aspect grotesque des mechas et la fulgurance de leurs mouvements. Au-delà de l’apport personnel de Imaishi, Gurren Lagann est une production Gainax. A part Ghibli et 4°C, rares sont en effet les studios d’animation japonais qui donnent à chacune de leurs sorties une « patte » si reconnaissable. Fondé par des otakus, Gainax s’est toujours signalé par la qualité visuelle de ses travaux – Nadia, Gunbuster, Evangelion, etc., et par sa capacité à jouer sur plusieurs tableaux, parvenant à séduire grand public et fans. A ce titre, Gurren Lagann, œuvre-somme d’une puissance dramatique et visuelle inégalée, représente une forme d’aboutissement.

Gurren Lagann – DVD Zone 2
(Beez Entertainment)