On connaissait le jazzman Gilad Atzmon : avec la parution en français de son premier roman, attendu depuis des mois, on découvre enfin l’écrivain. Sans rien cacher de ses convictions politiques, Guide des égarés parle aussi de ses obsessions, de ses préoccupations, de sa folie. Et si on n’est pas obligé d’être d’accord avec lui, force est d’avouer que cet homme-là a un caractère assez exceptionnel. Entretien.

Chronic’art : Musicien, désormais écrivain, comment vous présenteriez vous ?

Gilad Atzmon : Je suis d’abord et avant tout musicien, musicien de jazz ; tout ce que je fais doit être envisagé en termes de jazz. La question qu’on pourrait poser serait peut-être de savoir dans quelle mesure j’ai réussi à me réinventer moi même.

Pourquoi avez vous choisi l’exil, et pourquoi Londres ?

A l’origine, je suis venu ici pour étudier la philo ; et puis surtout, j’en avais assez d’être un colon en Israël.

Y retournerez-vous un jour ?

Jamais. Il faudrait pour que j’y retourne que ce cauchemar d’un nouveau pays sous apartheid finisse… Il faudrait que ce soit à nouveau la Palestine, et j’espère que ce le sera bientôt.

Vous êtes d’abord connu comme jazzman. Comment en êtes-vous venu à la musique ?

J’ai commencé à jouer quand j’avais 17 ans. Après avoir écouté jouer des gens comme Bird ou Coltrane, je n’osais même pas imaginer la possibilité de devenir musicien de jazz… Alors, je suis allé à la fac, mais je n’ai jamais cessé de jouer. C’est ici, en Angleterre, pendant que je terminais mes études (après avoir lu Kant, notamment), que j’ai finalement réalisé que philosophie et musique n’étaient pas si différentes… Pour moi, faire de la musique ou écrire un livre, c’est chercher les conditions, les moyens d’exister de la littérature, de la musique ou de n’importe quelle autre chose dans laquelle je m’engage.

Il y a donc un lien entre musique et écriture…

Oui, je crois qu’il y a réellement un rapport entre les deux. Quant à expliquer lequel…

Dans mon dernier album, j’ai composé un poème tiré du Guide, ainsi qu’un autre qui serait à rapprocher de mon nouveau livre, qui vient de paraître en Angleterre.

Musique et écriture donnent-elles des façon réellement différentes d’exprimer vos sentiments ? Qu’ajoute l’écriture à votre expérience, qui fait que vous ne vous êtes pas contenté de jouer de la musique ?

Je ne choisis pas. Je suis enfermé dans ce grand corps, dans cet esprit ; c’est lui, celui qu’on appelle Gilad, que je connais difficilement et que je comprends parfois moins encore, qui décide d’écrire. Moi, je n’ai pas le sentiment de contrôler tout ça. J’obéis seulement à des besoins très égoïstes. En deux mots, je ne décide jamais d’écrire ou de jouer, pas plus que je n’ai décidé d’être écrivain ou musicien. Toutes ces choses se produisent d’elles mêmes.
Outre l’Angleterre, l’Allemagne semble aussi tenir une place importante dans votre univers : dans le Guide des égarés, Gunter admire les Allemandes et la culture allemande, avec cette idée d’un juif fasciné par la culture allemande est ici centrale.

Je suis un fervent germanophile. Le problème est que les allemands contemporains semblent effrayés par le fait d’être allemands ; résultat, la seule philosophie allemande écrite de nos jours est écrite en français… C’est pour ça, comme vous pouvez l’imaginer, que je suis devenu un fervent francophile pour tout et n’importe quoi. Je suis réellement fasciné par l’esprit continental. Qu’il soit allemand ou français.

Justement, Gunter ressemble un peu au Candide de Voltaire, l’ensemble du texte ayant une orientation plutôt satirique ; est-ce un conte philosophique, finalement ?

Oui, c’est vrai, vous n’êtes pas la première à me demander ça. On me voit souvent comme quelqu’un de plutôt marrant. Ensuite, il faut bien voir qu’il y a toujours quelque chose derrière…

Quelle part de vous même avez vous mise dans Gunter ?

Je pense que si vous mettez de côté le fucking de la poupée gonflable, vous vous retrouverez avec un bon morceau de Gilad. Bien sûr, ce n’est en aucun cas ma biographie, mais ça présente bien une certaine façon de voir le monde qui peut parfois être la mienne.

Quelle est aujourd’hui cette vision du monde ?

Je suis très loin d’être quelqu’un d’optimiste… Et je pense qu’une vraie menace est à trouver dans la mondialisation et l’influence anglo-américaine.

Pensez-vous que votre engagement politique revendiqué puisse avoir un impact ?

Je ne crois pas vraiment à une place exceptionnelle de l’artiste dans la société, véhiculée comme un concept. Je ne pense pas que ce soit une idée vraiment pertinente. Par contre, j’essaie dans la mesure du possible de penser à ce que peut être mon propre rôle, et je crois qu’il est de mon devoir de présenter une autre vision, une voie différente de celles qu’on propose systématiquement, une voie qui corresponde à mes convictions. C’est en tous cas ce que j’essaie de faire, je pense avec un certain succès…

Le titre de votre dernier album était Exile, celui de votre livre Guide des égarés ; vous pensez avoir trouvé votre propre place dans le monde ?

Pour être parfaitement honnête, je ne la cherche plus vraiment. Je suis là, dans ce monde, je n’ai même pas choisi d’être ici. Mais plutôt que décider rationnellement, froidement, ce que je suis, qui je suis, je préfère m’engager pleinement, tenter de répondre à une autre question : qui je ne suis pas. Jusqu’à maintenant, c’est ce que j’ai fait et j’ai peu à peu réalisé que je ne suis pas un israélien, que je ne suis pas un juif et que je ne suis pas Coltrane.

Propos recueillis par

Lire notre chronique du Guide des égarés.
Voir aussi en archives notre chronique du précédent album de Gilad Atzmon, Exile