Dans le cadre de la soirée Super initiée par Dalbin, label de « musique visuelle » (sic), le festival Exit accueillera ce samedi un plateau de musiciens associés à DFA, le label new-yorkais dirigé par Jonathan Galkin et James Murphy (LCD Soundsystem). Chacun d’entre eux présentera une pièce audiovisuelle, réalisée en collaboration avec des vidéastes, graphistes ou plasticiens. S’y succéderont Planningtorock avec Steffi&Steffi, Gavin Russom avec Assume Vivid Astro Focus et Prinzhorn Dance School avec Bowling Club. A cette occasion, nous nous sommes entretenus avec Gavin Russom, farfadet psychédélique et artiste excentrique dont les installations minimalistes révèlent d’étonnants mondes parallèles – Donald Judd meets Kenneth Anger meets « 2001, l’odyssée de l’espace » – sur fond d’oscillations électroniques à mi-chemin entre Terry Riley et Klaus Schulze.

Chronic’art : Ton travail artistique est une collision de références hétérogènes, voire antinomiques. Un genre de crossover entre les sculptures minimalistes de Donald Judd, l’austérité de l’architecture totalitaire, les ambiances baroques de giallo italien, le mysticisme esoterico-kitsch de Kenneth Anger et Jodorowski, mais aussi le syncrétisme du folklore latino-américain, emprunt d’une certaine théâtralité surréaliste…

Gavin Russom : Je pense que ton analyse est intéressante et qu’elle met le doigt sur beaucoup de thèmes qui convergent en effet dans mon travail. Etant donnés que les installations sont en grande partie réalisées en binôme avec Delia Gonzales, et qu’elles résultent non seulement des expériences et des recherches individuelles, mais aussi d’un grand nombre d’investigations conjointes, elles sont de fait extrêmement complexes et combinent de nombreux centres d’intérêt, sources d’inspiration, préoccupations, etc. Je conçois la musique de la même manière. J’écoute le plus de choses possible sans trop me soucier des genres ou des époques, sauf pour dégager le sens profond de telle ou telle musique en particulier. Faire de la musique revient pour moi revient à créer un paysage abstrait à l’intérieur duquel ces choses peuvent ressurgir en bloc d’un seul coup ou sous une forme plus diffuse, comme une succession d’événements. J’ai l’impression que la musique de Days of Mars que j’ai composé avec Delia est aussi stratifiée et complexe que les installations, si ce n’est qu’elle appartient à un champ et à une sphère d’influence qui lui sont propres. La plupart de mes autres projets musicaux induisent aussi cette sensibilité, mais j’insiste encore sur le fait que Delia s’est autant impliquée que moi sur l’album Days of Mars. Plus que tout le reste, la musique constitue le fondement de mon activité. L’abstraction du son devient une sorte de champ ouvert où toutes sortes d’événements peuvent se produire. C’est toujours à partir du son que je génère des formes visuelles, à l’instar de mes réalisations avec Delia.

Est-ce qu’il existe une interaction entre la musique et ton travail plastique ?

Sans aucun doute. Le composant sonore des installations est l’élément majeur de l’interaction. Comme si la musique devenait une sorte de structure gelée qui arrête le temps et le retient pour mieux en cerner la profondeur. Les installations ne sont qu’une manière d’articuler l’univers visuel révélé par la musique. Une interprétation de ce que la musique inspire.

Tes installations fonctionnent à différents niveaux, elles oscillent toujours entre minimalisme austère et excentricité baroque. Est-ce que ta musique fonctionne sur le même registre métaphorique ?

Oui, mais encore une fois, c’est à un niveau bien plus abstrait et intangible en raison de la nature du son elle-même. Selon moi, les installations tendent davantage à créer un espace qui questionne les frontières entre l’expérience intérieure et extérieure, qui joue sur l’ambivalence. Les surfaces réfléchissantes, la création d’objets qui génèrent du son d’une manière difficile à quantifier, etc. Ces frontières sont instables. La musique, en revanche, est capable de mener sans détour vers une intense expérience intérieure, ce qui explique pourquoi elle me sert de point de départ pour générer des créations visuelles.

Comment et quand t’es-tu mis à fabriquer tes propres synthétiseurs ?

J’ai commencé à assembler des circuits électroniques analogiques en 2000. Je « fabriquais » déja des machines depuis l’âge de 11 ou 12 ans. J’ai commencé par accrocher ensemble des magnétophones à cassettes et à enregistrer l’environnement ambiant. Un genre de teenage musique concrete. Cela m’a rapidement conduit à découvrir le feedback, et des techniques d’enregistrement plus complexes avec des machines de meilleure qualité comme des magnétophones à bandes ou des consoles quatre pistes. J’ai commencé à fabriquer des instruments acoustiques en 1992. Après cela, j’ai commencé à développer des techniques d’enregistrement expérimentales plus sophistiquées. J’ai été brièvement initié aux synthétiseurs analogiques durant mes études à l’Art Institute of Chicago et au Bard College, mais j’ai commencé à en faire un usage intensif autour de 1998. A ce moment, les techniques d’enregistrement que j’avais appris en autodidacte avaient atteint une sorte de limite créative, mais je n’étais pas attiré pour autant par des instruments conventionnels. Les synthétiseurs analogiques me plaisaient visuellement et apportaient une solution à mon dilemne concernant la composition. Ils pouvaient pour ainsi dire jouer le rôle de médiateurs entre des forces électriques au comportement autonome. Aucun des plus petits modèles disponibles n’avait la configuration requise pour faire ce que j’avais en tête, je me suis donc mis à faire des recherches pour concevoir mon propre synthétiseur, dont les spécifications répondraient à mes besoins pour produire la musique que j’entendais et sentais à l’intérieur de moi. J’ai énormément potassé pour me donner les moyens de construire les machines qui me convenaient. J’ai par la suite approfondi mes connaissances, jusque là rudimentaires, en travaillant avec des techniciens plus compétents, de manière à développer quelque chose de vraiment utile à long terme.

Comment s’est mis en place cette collaboration entre les vidéastes de Assume Vivid Astro Focus et toi ?

Je crois que Dalbin a invité DFA à participer et a contacté par ailleurs A.V.A.F. Comme Delia et moi avions travaillé avec A.V.A.F. sur la video de « Relevee », la collaboration semblait logique.

A quoi peut-on s’attendre pour Exit ?

Instrumentation minimale, densité sonore maximale. Lasers. Danseurs. Je ne veux pas en dire trop mais ça devrait être vraiment intéressant.

Quels sont tes projets ?

Je travaille depuis plus de deux ans sur un projet parallèle de dance music qui a pour nom Black Meteoric Star. Je suis en train de peaufiner des morceaux qui devraient sortir dans le courant de l’année. Delia et moi avons terminé un maxi qui devrait sortir bientôt sur DFA. On a également travaillé ensemble sur des sculptures l’an passé. J’ai aussi fabriqué de nouveaux instruments et travaillé sur un album solo dont je jouerais des extraits lors de mon concert à Paris. Je dessine aussi énormément…

Propos receuillis par

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