Dissection pop et kraut de sons et de sens, le nouveau Lightbulbs des anglais Fujiya & Miyagi fait des bulles de savon dans nos têtes. Interview avec le tout gentil David Best.

Chronic’art : Utilisez-vous les mots et les noms propres dans vos chansons en fonction de leurs caractéristiques « rythmiques » ? Je pense à « Lena Zavaroni », « Emeric Pressburger » ou « Stella Artois ». Ont-ils une fonction d’abord musicale ?

David Best : Si les mots créent un rythme sur la page quand je les écris, je sais que ça marchera, quand je traduirai les mots en sons, quand je les chanterai. Lena Zavaroni était une enfant-star en Angleterre, je ne sais pas si elle était très populaire en France. Ma sœur et moi en étions très fans. Elle m’attirait aussi, comme une enfant de 9 ans peut attirer un autre enfant. J’ai toujours été très fan des films de Emeric Pressburger, avec Michael Powell. Cela faisait partie des références qui emmenaient les chansons ailleurs, aussi, qui pouvaient surprendre l’auditeur.

C’est aussi une constante de la culture pop que de citer ses influences ou de faire des galeries de portrait, comme sur la pochette de Sergeant Pepper’s. Y-avait-il une volonté semblable de faire du name-dropping pop ?

Les influences font partie de vous, c’est important de les reconnaitre. Mon artiste préféré est Serge Gainsbourg, qui faisait beaucoup de name-dropping, mais je ne pourrais pas le citer dans une chanson car ça me semblerait trop évident, un peu « cheesy ». Zavaroni, Knickerbocker ou Pressburger font plus parties de mon expérience personnelle. Ils sont à la fois phonétiques mais ont aussi une signification, ne sont pas vides ou hors-sens.

La comparaison avec Gainsbourg est évidente. Comme lui, vous utilisez les mots et les noms pour leur valeur phonétique, rythmique.

Merci ! Ca me fait très plaisir. Malheureusement, je ne parle pas français, mais j’ai pu lire des traductions de ses chansons, et si on perd sans doute beaucoup de l’intelligence de son propos, je trouve ses textes incroyables.

Vos chansons ressemblent aussi un peu à des jeux d’esprits, des mots d’esprits, avec des associations de mots et d’idées…

Bob Dylan a dit ça dans A Hard rain is gonna fall, même si je ne pourrai jamais me comparer à Bob Dylan, mais il dit que chaque ligne d’une chanson peut être le début d’une autre chanson qu’il n’aurait pas eu le temps d’écrire. Lightbulbs est ainsi plus une collection et association d’idées différentes qu’une narration cohérente.

Les associations peuvent être parfois cruelles : tu associes les crèmes glacées que tu mangeais enfant avec Lena Zavaroni, alors que cette dernière est décédée d’anorexie…

Je m’inquiétais que cette connexion soit faite et, pour être franc, j’aurais préféré que les gens ne fassent pas le rapprochement. Zavaroni était juste une grande star pour ma sœur et moi lorsque nous étions enfants. Cette chanson associe des souvenirs liés à mon enfance, mais elle ne doit pas être interprétée selon un sens linéaire, non seulement parce que les mots sont surtout utilisés pour leurs sonorités, mais aussi parce qu’avec ma façon de chanter, en murmurant, peu de personne vont en comprendre tous les mots de toute manière. Je préfère rester vague, laisser à l’imagination de l’auditeur le choix de ses interprétations…

Il y a un côté mathématique dans les structures des morceaux…

Je compose en formant des sortes de jiggsaw, des puzzles, à partir des idées, des mots et des sons. J’associe les pièces de sons à une ligne temporelle que je chante, jusqu’à ce que ça sonne bien. Quand ça fonctionne, les mots et les sons s’accordent de manière assez naturelle, facilement, ce qui est très agréable.

Il y a aussi une chanson en hommage au joueur d’échecs, Bobby Fischer. Pourquoi ?

Le morceau devait paraitre sur Transparent things, au moment où il est mort, et puis nous avons laissé le morceau de côté. Je crois que c’était quelqu’un de bien, avec des vues étranges sur la religion, aussi. Mais ce qui m’intéressait, c’est qu’il était définitivement « the man », un héros, comme un athlète, un footballeur ou un policier. J’ai imaginé cette chanson au moment où je lisais La Défense Loujine de Nabokov, qui cite souvent le jeu d’échec dans ses textes. J’aimais bien aussi la dimension guerre froide de l’époque Fischer, qui jouait contre des truands russes. Le côté James Bond. Le jeu d’échec ne revient pas souvent dans les chansons pop, et ça me plaisait aussi de proposer ça.

La chanson Pickpocket fait référence au film de Bresson ?

J’ai vu le film de Bresson, qui est formidable, mais c’était surtout le mot « Pickpocket » qui m’intriguait, ce qu’il impliquait : mettre sa main dans la poche d’un inconnu, lui voler son argent avec sa main. Le fait que la pop soit aussi une histoire de vol et de gestes n’entrait pas en jeu au moment de la composition du morceau.

Certaines chansons parlent de « désastres domestiques », de couples qui se séparent douloureusement, ou s’ennuient ensemble. Est-ce que c’est un disque plus personnel de ce point de vue ?

Oui, c’est un disque moins obscur que Transparent Things. Le morceau Dishwasher n’est pas personnel, c’est plus une observation sur la répétition des mêmes gestes, dans un endroit confortable, avec une machine à laver, une belle télévision. Lighbulbs est une chanson sur des conflits entre un homme et une femme. Plus personnelle, donc, en effet.

Le mot « Lightbulbs » est un résumé de votre musique en un sens ?

Le mot fait référence d’abord aux bulles de lumière qui apparaissent dans les dessins animés, au dessus des têtes des personnages, lorsqu’ils ont une idée. On voyait chaque chanson comme une nouvelle idée. Tilt !

Propos recueillis par

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