Ils effraient les accros du joypad au cœur le plus sensible, mais aussi les associations crypto-catho-fachos style Familles de France. Ce sont des jeux d’un nouveau genre : le Survival-Horror. Un genre porté au pinacle par Capcom et sa série désormais cultissime Resident evil. Destinée à un public plus mature, la série distille un univers malsain, gore, et relève un défi relativement nouveau : faire peur. D’autres, depuis, se sont engouffrés dans le thriller gore, bravant les censures les plus diverses, comme Square avec Parasite Eve, et surtout Konami avec le grandiose Silent hill.

Faire peur au cinéma, on connaissait déjà. Même s’il faut bien l’admettre, il y a longtemps que le grand écran ne nous a donné des frissons d’effroi dignes de ce nom… Mais faire peur aux accros du joypad ? Un phénomène nettement plus récent qui est apparu en même temps que le public des jeux vidéo a gagné en maturité. Les rares tentatives du début de la décennie –Alone in the Dark, le grand-père de Resident evil (RE) ou Zombi et Hurlements pour l’ère 8-bits- n’étaient pas encore très convaincantes. Logique. Il manquait aux plates-formes de l’époque une donnée essentielle étroitement liée à l’évolution technologique : l’immersion. Décors et personnages réalistes, 3D précalculée ou en temps réel se révèlent vraiment nécessaires pour amener le joueur dans une spirale d’angoisse et de frayeur.
Capcom a donc ouvert une voie, non sans un certain courage -ce genre de jeu subit quasi automatiquement les foudres de la censure- avec ses 2 RE. Jusqu’à présent, ils semblaient être les seuls à pouvoir se le permettre et surtout à remporter le challenge haut la main. C’était sans compter sur le concurrent Konami et son bébé Silent hill (SH). On a dès lors injustement accusé Konami de plagiat. C’est bien sûr un faux procès. Les deux softs sont effectivement très semblables, mais les moyens employés pour faire franchement flipper les joueurs affamés de sensations fortes diffèrent sensiblement d’un produit à l’autre. En analysant au plus près références et effets de mise en scène, deux visions distinctes de la peur ludique se dessinent…

Resident evil : la manière forte

Les vétérans le savent bien, RE est une resucée d’Alone in the dark, jeu d’obédience lovecraftienne. Outre cette référence 100% ludique, RE s’inspire largement des films de zombis italiens des années 70, ceux de Romero, bien entendu, mais aussi ceux de son disciple Lucio Fulci. Une base solide -agrémentée de quelques références ponctuelles du genre Alien, ou… l’Incroyable Alligator-, puisque les films de morts-vivants jouent avec des tabous tapis dans les profondeurs de notre inconscient tels que la mort, l’anthropophagie, la négation de l’individualité. Raccoon City, petite ville américaine, est infestée de zombis. Ils sont innombrables, vous êtes seul, ou quasiment. C’est une oppression incessante et décérébrée à laquelle vous devrez faire face, même si le jeu vous ramène rapidement vers des lieux clos (un manoir –RE1-, un improbable commissariat victorien/hi-tech –RE2) censés être plus sécurisants. En dehors de ce postulat de départ, d’une ambiance apocalyptico-chic, RE est surtout un « shocker ». Bras décharnés qui vous agrippent par une fenêtre mal barricadée, monstres de tous poils brisant une vitre ou fracassant un mur pour vous sauter dessus, toutes les situations censées augmenter votre pulsation cardiaque semblent innombrables. Inconvénient : si vous êtes un tant soit peu cinéphile, vous les verrez arriver de loin. Avantage : ça file quand même les jetons.
Les décors en 3D pré-calculée sont impeccables de froideur. Bâtisses XIXe, souterrains ou labos sont les constantes des deux épisodes. Il leur manque sans doute un côté plus « réalité quotidienne » mais le cocktail fonctionne souvent très bien, surtout grâce à des prises de vue favorisant la plongée, symbole cinématographique de menace. L’habillage sonore, un peu clairsemé, favorise les râles inquiétants des zombis et une petite musique à la John Carpenter. L’aspect « gros budget » de l’ensemble gâche peut-être un peu l’énorme potentialité du thème des morts-vivants, mais RE est sans doute à ce jour le jeu le plus efficace pour vous faire dresser les cheveux sur la tête.

Silent hill : horreur cérébrale

Malgré la mauvaise foi patente de certains critiques qui ont descendu SH sans avoir sans doute dépassé une heure effective de jeu, le soft de Konami peut se targuer d’avoir rempli la plupart de ses ambitions, dont celle de faire oublier les deux RE. 3D temps réel, optimisation de l’inventaire et des sauvegardes, les nombreuses améliorations techniques corrigent intelligemment les erreurs répétées de RE. Il est certain que les premières impressions sont passablement mitigées. Après une première scène subtilement horrifique, une pointe de déception vient chatouiller le cortex du joueur avide d’adrénaline. Est-ce qu’on voudrait nous faire passer une errance désorientée dans une purée de poix pour le summum de l’angoisse ? Les décors sont moins séduisants que ceux de RE et les monstres relativement ridicules. Des ptérodactyles ressemblant à de gros poulets déplumés et des chiens dépecés lorgnant plutôt vers de gros lièvres myxomatosés. Pas de quoi cauchemarder. Quand on sait que les seules créatures vraiment dérangeantes de la première partie du jeu -des enfants zombis mutilés- ont été remplacés pour la version européenne par de gros nounours griffus, il y a de quoi être déçu.
Mauvais départ. C’est que SH mise sur une horreur progressive. Et l’effet de désorientation, agaçant au début, se transforme rapidement en prison mentale dans laquelle le héros s’enfonce de plus en plus. Chez Konami, donc, on favorise une peur primale, puérile : la peur du noir, de l’invisible. Le véritable coup de génie, c’est d’avoir fait d’une carence technologique -affichage limité de polygones- le principal moteur du jeu et de l’angoisse. On ne voit pas grand chose -brouillard, obscurité de plus en plus envahissante-, si ce n’est un décor qui varie du plus anodin -une petite ville typique- au plus cauchemardesque -un monde parallèle infernal, mêlant ferrailles rouillées, murs en décomposition, et cadavres atrocement mutilés en guise de déco. Par contre, il faut mentionner une bande sonore à la limite du supportable, presque avant-gardiste, des leitmotivs sonores effrayants, comme si quelque chose d’indicible voulait traverser les murs. Des bruitages qui vrillent les tympans et mettent les nerfs à rude épreuve, au même titre que les gémissements d’enfants et la sonnerie stridente de votre radio annonçant la venue de monstrueuses créatures. Parfait !
Au fur et à mesure de la progression, les monstres deviennent vraiment effrayants -infirmières et médecins zombifiés, gros primates carnivores- et le monde cauchemardesque prend de plus en plus la place de la réalité.

SH est surtout l’un des jeux les plus cultivés qu’on ait pu voir. A part Myst, on avait rarement mis à profit à ce point les références littéraires et culturelles. Malins, les développeurs ont nommé les rues et les bâtiments de SH d’après leurs inspirations : Bloch St., Bachman Rd., Ellroy St., etc. La première rue visitée s’appelle Levin Street, et ce n’est pas un hasard. L’intrigue de SH est largement inspirée du roman d’Ira Lewin, Rosemary’s baby. Ou comment une secte sataniste cherche à faire revivre un démon à travers un nouveau-né. Manque de chance, le nouveau-né en question n’a reçu que la moitié de l’âme du démon. Les membres de la secte n’auront cesse de le torturer, puis de le brûler vif afin d’attirer la seconde moitié de l’âme. Les cauchemars de l’enfant, plongé dans un état comateux, viennent peu à peu dévorer la réalité de la petite ville. Parmi les nombreuses autres références, on reconnaîtra évidemment Brumes de Stephen King ou le très similaire Fog de Carpenter, L’Abomination de Dunwich de Lovecraft, Spectres de Koontz et d’autres citations plus sporadiques –The Hidden, Mimic, L’Echelle de Jacob, Poltergeist et Hellraiser pour l’aspect visuel. Quant à la mythologie des satanistes, elle s’est largement inspirée du Panthéon Lovecraftien et de la religion Hébraïque. Enfin, on ajoutera que l’intrigue générale est quasi incompréhensible, amputée d’une « révélation finale » qui mettrait tout à plat. La fin du jeu est franchement évasive, à l’instar des nouvelles de Lovecraft qui prolongeaient le doute et l’incompréhension au-delà du dénouement. L’équipe de konami a donc été à bonne école.

Points communs : une cartographie de la terreur

S’il faut trouver des réminiscences entre les deux produits, c’est au niveau des lieux visités qu’il faut chercher. Le genre Survival horror génère ses propres clichés -initiés par les RE de Capcom-, gages d’efficacité pour filer la chair de poule aux joueurs les plus blindés. Ainsi, l’exploration des égouts semble être devenue un passage obligé, que ce soit dans RE1 et RE2, ou dans SH. Encore plus glaçant, évidemment, la morgue, mais seul RE2 a vraiment su tirer profit de ce genre de décor -une situation attendue, le réveil des occupants-, un cliché dans lequel l’équipe de Konami n’a peut-être pas voulu plonger. Il y a aussi le commissariat de police, qui fait figure de Terre Promise, d’îlot de sécurité. Très présent dans RE2, très bref et subsidiaire dans SH. Pour conclure, on remarquera que c’est surtout Konami qui a corrompu des lieux quotidiens et synonymes de quiétude (école, hôpital, motel, etc.) alors que le background de RE est un peu plus inhabituel et improbable (labo secret, décors grandiloquents).
Bien qu’il soit un peu moins attractif et qu’il semble un peu fauché, SH est donc un jeu qui va bien au-delà de son modèle avoué. Plus cérébral, plus cultivé, plus immersif, il préfigure la prochaine génération des jeux vidéos qui bénéficieront des avancées technologiques de la Dreamcast ou de la Play 2. Un jeu adulte, même s’il ramène à l’enfance de par sa vision primale de la peur. SH est définitivement LA référence pour les jeux qui suivront sa trace ensanglantée.

Quelques prévisions :
Chez Capcom :
le troisième épisode de RE, Nemesis, sortira prochainement sur PlayStation. Ce sera le dernier sur cette plate-forme. Il prendra place 24 heures avant et 24 heures après les événements de RE2. Quant au quatrième épisode, Code veronica, il est en cours de développement pour la Dreamcast et sera entièrement en 3D temps réel. Ça promet… On attend aussi toujours de pied ferme Dino crisis, le RE-like à la sauce Jurassic park, mais les premiers échos sont plutôt négatifs…
Chez Konami : SH2 est prévu sur la Play 2. On a le temps de voir venir. Peut-être le verra-t-on débarquer également sur la Dreamcast ?
Chez les autres : Bandai prépare un RE-like, Countdown vampires. On prend les zombis, on leur file deux canines et voilà le travail. Sortie prévue en automne 99, au Japon (sur PlayStation). Les amateurs de vampires devraient a priori plutôt se retourner vers Soul reaver, le récent second épisode de Kain, plus original et superbement réalisé. Sacnoth, qui regroupe quelques transfuges de SquareSoft, planche sur Koudelka. Au menu : ancien monastère, goules et mystérieuse gitane. Sortie prévue fin novembre 99 au Japon (sur PlayStation).
A propos de Square, Parasite eve 2 est en cours de gestation. Pas de date de sortie annoncée, et on ne sait toujours pas sur quelle plate-forme le jeu va tourner. Mais vu le peu d’intérêt qu’a suscité le premier opus dans notre bonne vieille Europe, les infos ne se bousculent pas au portillon.
Qui l’eût crû ? Alone in the dark 4 risque de débarquer sur Dreamcast courant 2000. Un juste retour des choses pour Infogrames qui a tout de même inventé le genre.

Quelques sites :
Survivhor : webzine francophone entièrement dédié au genre. Les jeux ne sont pas vraiment testés, dommage, mais il y a foule d’infos et d’analyses. Par ici, son homologue anglophone.
Vous n’avez rien compris à SH ? Pas de panique, vous n’êtes pas le seul. De nombreux internautes ont développé quelques thèses pour éclaircir les zones d’ombres du jeu de Konami. La plus plausible reste celle de President evil (pseudo), traduite en français chez Survivhor.
Pour finir les sites officiels de Silent hill et Resident evil

Voir nos tests de Resident evil, Resident evil 2 (Play ou PC) et Silent hill