Editeur de guide de jeu vénéré des Core gamers, Piggyback met une fois de plus les fans de RPG en émoi avec la sortie d’un guide Final fantasy XII. L’occasion de rencontrer l’un des encyclopédiste français du monde virtuel de Matsuno, concepteur du jeu.

Réputé pour l’exhaustivité, la qualité éditoriale et illustrative hors norme de ces publications, Piggyback a transformé durablement l’idée que l’on se fait d’un guide de jeu. Son dernier ouvrage en date, Final fantasy XII, le guide officiel, n’est pas seulement un inventaire ordonné et vertigineux de tout ce qui constitue Ivalice, le monde du jeu, et ses règles. Dans sa version collector, c’est également l’aboutissement d’une exigence éditoriale aux accents Mallarméen. « Le monde est fait pour aboutir à un beau livre ». Rencontre avec Claude-Olivier Eliçabe, co-rédacteur des guides français chez Piggyback.

Chronic’art : Comment se décide la mise en chantier d’un guide de près de 350 pages comme celui de Final fantasy XII ? Quel est le processus de production d’un tel ouvrage ?

Claude-Olivier Eliçabe : A vrai dire, bien que nous visions à l’origine un nombre de pages élevé vu l’importance de Final fantasy XII, nous ne pensions pas pour autant arriver à un tel chiffre ! Mais devant l’ampleur du jeu, nous avons dû revoir nos prévisions à la hausse en cours de route. Le processus de production de nos guides commence par l’élaboration d’un « concept » qui, en décrivant l’essentiel du contenu des différents chapitres, tient lieu à la fois de cahier des charges et de plan de route pour l’ensemble des intervenants. Il faut ensuite amasser toutes les informations possibles sur le jeu pendant que l’équipe graphique s’attelle à définir le style du guide. Débute alors la phase d’écriture, prise en charge par plusieurs auteurs : au fur et à mesure qu’ils avancent dans leur travail, leurs textes sont progressivement envoyés à la mise en page et à la traduction (le guide est paru en anglais, français, allemand, espagnol et italien) ; parallèlement, plusieurs personnes testent manette en main les instructions fournies dans les textes pour s’assurer de leur justesse. Ces quatre étapes (écriture, mise en page, traduction et vérification) se déroulent donc simultanément. Une fois qu’il est entièrement mis en page dans chaque langue, le guide passe successivement aux phases d’impression puis de distribution, l’objectif étant qu’il soit disponible en magasin en même temps que la sortie du jeu.

Vous vous êtes illustré par le passé en incluant des analyses de scénario (pour les guides MGS 2, 3 et celui de Silent Hill 4 notamment). Aller plus loin dans le contexte scénaristique du jeu ; proposer des interprétations, de la matière culturelle autour du jeu et de son univers. Est-ce que cela fait partie de la ligne éditoriale que Piggyback aimerait développer ? Ou bien est-ce conditionné par le contenu des jeux en lui-même ?

Les deux ! L’objectif de nos guides est d’explorer le jeu sous toutes ses coutures, d’exacerber l’expérience qu’il propose. Aller plus loin fait donc partie intégrante de la ligne éditoriale de Piggyback, mais il va de soi qu’une telle volonté est conditionnée à la fois par le contenu du jeu et par certaines contraintes matérielles (nombre de pages maximum, délais à respecter…). Dans tous les cas, outre notre volonté d’exhaustivité, nous essayons toujours d’apporter ce petit « plus » d’analyse, de mise en perspective ou même de réflexion susceptible d’éclairer les joueurs. Cela peut passer par des examens techniques très poussés (en matière de technique automobile et de tuning avec le guide Gran turismo 4, de stratégies footballistiques dans le guide Pro evolution soccer 6…), aussi bien que par des interprétations scénaristiques, voire même philosophiques, comme on en trouve dans les guides Metal gear solid 3 ou Final fantasy crystal chronicles.
Arriver, ne serait-ce que sur quelques pages, à retranscrire la poésie d’un jeu, à plonger dans une quête de sens vertigineuse… autrement dit à sortir des limites habituelles du cadre d’un guide, n’est-ce pas justement le meilleur moyen de définir ces limites, et par là même de créer un guide dans toute sa plénitude ?

Vous arrive-t-il de travailler avec des auteurs de FAQ ? Pourquoi, à votre avis, la scène des faqueurs français semble si peu active comparée à celle de pays où la consommation de jeux console est pourtant plus faible comme l’Allemagne où l’Espagne ?

Nous ne travaillons pas avec des auteurs de FAQ. Les FAQS servent avant tout à débloquer des joueurs coincés dans un jeu ; nos guides proposent une expérience à part entière. Cela ne nous empêche néanmoins pas de collaborer ponctuellement avec des acteurs notoires de la communauté de certains jeux, comme c’était le cas pour le guide PES6. Quant à la scène des faqueurs français, c’est peut-être justement parce que la consommation de jeux console est comparativement plus forte en France que sur certains marchés comme l’Allemagne, que l’activité de FAQS y est plus faible : écrire des FAQS est une activité très « informatique » qui se pratique plus volontiers dans les pays où la consommation de jeux PC est plus forte… comme en Allemagne donc.

De plus en plus de FAQS font un travail sur le cheminement sans spoiler. Par quel moyen, chez Piggyback, peut-on préserver le plaisir de la découverte d’un jeu par le joueur ? Est-ce possible compte tenu de l’exhaustivité qui a fait la réputation de vos guides ?

Nous voulons à tout prix éviter l’écueil qui consiste à raconter le jeu au joueur, et veillons pour cela à dévoiler un minimum d’informations de nature scénaristique. Cela dit, il est vrai que notre souci d’exhaustivité s’oppose parfois à cette priorité. Pour résoudre ce problème, nous travaillons attentivement nos formulations et glissons aux endroits appropriés des avertissements spécifiques mettant en garde le lecteur. En outre, nous élaborons régulièrement des procédés adaptés à chaque produit pour garantir l’absence de spoiler. Dans le guide Dragon quest, par exemple, nous avons scellé entre elles les pages de toute une section consacrée aux secrets les plus confidentiels du jeu, ce qui obligeait le lecteur à faire le geste de découper leur lien pour y avoir accès. Dans le guide FFXII, nous avons mis au point un système inédit de « Cheminement express » en recensant point par point, sans fioriture, les étapes essentielles à accomplir pour terminer l’aventure principale : si vous le suivez, vous êtes mené du début à la fin de l’aventure sans risquer de rencontrer des détails qui révèlent l’intrigue.

Vous semblez très attachés à l’objet « livre » comme en témoigne la qualité de fabrication de vos ouvrages (qualité du papier, de la mise en page, de la direction artistique…). Quel avenir voyez-vous pour Piggyback sur les supports numériques ? Pourrait-on imaginer une Wii chanels (ou Playonline ou Xboxlive) payante dédié à vos guides de jeux ?

Je pense que le support livre, outre sa « noblesse », possède un côté pratique avec lequel nul autre média (télévision ou ordinateur) ne peut rivaliser. Quand on est en train de jouer devant son écran et qu’on a besoin d’une information spécifique, feuilleter un guide qu’on a sur les genoux reste le plus simple.
Cela s’applique d’autant plus avec nos livres que nous soignons leur présentation et leur accessibilité : la clarté des exposés, les index, les onglets verticaux ou les couvertures dépliantes sont autant de moyens via lesquels nous permettons à nos lecteurs de trouver les renseignements dont ils ont besoin en un temps record. Par conséquent, je crois que le format livre a encore de belles années devant lui. En revanche, il peut tout à fait être complété par Internet : c’est déjà le cas avec notre site www.authorisedcollection.com qui a proposé plusieurs fois dans le passé des tableaux complexes mieux manoeuvrables sur ordinateur que sur papier, et même carrément des extensions gratuites à certains guides ; nul doute que cela pourrait aussi passer par du contenu exclusif, telles que des vidéos montrant comment franchir des passages-clés de jeux. Quoi qu’il en soit, si le format du livre demeure notre principal mode d’expression, nous n’hésitons pas à explorer de nouvelles voies, numériques notamment : nous avons par exemple adjoint au guide PES6 un DVD contenant des vidéos qui illustrent l’ensemble des mouvements décrits.

Après avoir travaillé aussi longtemps et avec une telle acuité sur les mécanismes et l’univers de Final fantasy XII, dans quelle mesure pouvez-vous encore trouver du plaisir à y jouer ?

Aussi étonnant que cela puisse paraître, après en avoir décortiqué pendant des mois les rouages du jeu, j’éprouve presque toujours autant de joie à parcourir le monde d’Ivalice. Ce plaisir renouvelé est dû, d’une part, au système des gambits (dont l’aspect tactique et les possibilités inépuisables révolutionnent à mon sens le système de combat des RPG -à tel point qu’il me paraît difficile, après y avoir goûté, de rejouer à un RPG « classique »), et, d’autre part, à l’incroyable richesse de l’aventure. Bref, j’en suis à ma troisième partie et je me surprends encore à allumer ma console pour me replonger dans l’univers de FFXII !

Y a-t-il une section que vous auriez aimé ajouter au guide FFXII ?

En ce qui concerne le jeu en lui-même, non. Nous avions établi un plan précis, auquel nous avons réussi à nous tenir de bout en bout. Tout ce que nous voulions dire sur le jeu apparaît dans le guide : honnêtement, je pense que nous en avons étudié les moindres aspects et qu’aucun de ses secrets ne nous a échappé. Il aurait été fantastique de pouvoir ajouter une analyse scénaristique et philosophique, vu la profondeur de l’histoire du jeu et la thématique du rapport de l’Humain au Divin, mais il fallait bien arrêter le nombre de pages à un moment.

Voyez-vous, dans l’art de guider les joueurs, la possibilité d’un genre littéraire à part entière ? Sinon, comment faire en sorte d’en inventer un ?

Je ne me risquerai pas à décerner ou non le titre de « genre littéraire » aux guides de jeux vidéo. Avant de penser aussi loin, je crois qu’il est essentiel de s’attacher à écrire dans un français limpide et correct. C’est en tout cas la priorité absolue de notre équipe. Pour ce qui est d’un prix Goncourt du guide de jeu vidéo, il faudrait en parler à l’Académie !

Propos recueillis par

Final fantasy XII, le guide officiel (Piggyback)

Voir notre chronique de Final fantasy XII