On ne misait pas un kopek sur John Curran, petitement remarqué par We don’t live here anymore, fable chic et platounette sur l’adultère, et dont la carrière semblait suivre le cours blasé et faussement tranquille d’un Todd Field (Little children), voire d’un Sam Mendes. Et pourtant, Le Voile des illusions affiche une énergie doublée d’une modestie rassurante. Mini mélo en costume portant les stigmates d’une fiction M6, le film se révèle série B pleine de peps, allégeant l’esthétique carte postale pour une intrigue à rebrousse-poil. Parler dépoussiérage ou relecture du genre serait bien excessif, mais au fond, tant mieux, car Le Voile des illusions assume avec bonheur son statut de pige hollywoodienne, ce qui n’est pas si mal.

Le pitch : un couple de jeunes aristos de l’Angleterre victorienne s’envole vers la Chine coloniale. Lui (Norton) est un toubib coincé, aimant son épouse (Watts) par pure logique protocolaire. Laquelle partage moins cette ferveur de principe, passant surtout la bague au doigt pour fuir sa famille et partir à l’aventure, en Madame Bovary progressiste. Mais son infidélité révèle le potentiel cruauté du mari qui, par vengeance, l’emmène avec lui soigner une épidémie de choléra dans un village paumé, qui plus est hostile à l’occupant britannique.

Très vite, tout de suite même, Curran se montre obsédé par le rythme. Comment trouver matière à booster la reconstitution sans la dénaturer : le défi est renouvelé à chaque séquence. D’où une construction dévouée au ludique, sorte de Fort Boyard du mélo où l’intrigue, morcelée en une suite de micro-épreuves, sautille de chausse-trappes en effets de manches. Défilement des décors (Londres, Shanghai, le village), virevolte des personnages (ils s’aimeront mais très très tard), renouvellement cyclique des enjeux (jusqu’au thriller exploitant la facette zinzin de Norton), ce qui est posé est sans cesse déconstruit ou réajusté. Le film tient cependant bien la route, diluant son hystérie dans une malice discrète, comme s’il n’avouait jamais ses velléités de raffinement : Curran prend son pied à emballer le récit sans s’emballer lui-même.

Sa mise en scène se complait dans un classicisme rectiligne, jamais dans la démultiplication ni dans l’emphase graphique. Un point de vue unique, celui du personnage de Watts, suffit à oxygéner le film et à en densifier l’action : ses peurs (le voisin pervers, des émeutes), ses passions diverses (amant, autochtones), ses remises en question, autant de médias et de poulies narratives huilant la mise en scène à l’infini. Un film d’actrice donc, mise au point superficielle mais élégante de ce qu’est Naomi Watts aujourd’hui : une Nicole Kidman sympa, belle et froide, trop fraîche, trop jeune encore pour l’envoûtement pur (même dans Mulholland drive, elle était plus guide que fantasme), mais idéale pour driver le tout-venant d’Hollywood.