Alors que la Foire Internationale d’Art Contemporain s’était installée au pavillon du Parc Paris-Expo, Porte de Versailles, Art Paris, foire qui se présente comme « différente, rebelle et constructive », célébrait sa première édition au Carrousel du Louvre. Ces deux manifestations d’art contemporain étaient-elles si différentes ? Art Paris apportait-elle une réelle nouveauté dans le monde des galeries ? La FIAC avait-t-elle des airs de vieille dame satisfaite et ronronnante ?

1974, la FIAC, qui s’appelle, cette année-là, SIAC, ouvre ses portes à la gare de la Bastille. Faute de place, elle déménage dès 1976 au Grand Palais. L’endroit semble bien plaisant, jusqu’à ce que les chutes des boulons de la charpente métallique obligent un changement d’adresse pour son édition 1994. Et nous voilà partis pour quatre années sous les tentes de l’Espace Eiffel-Branly !
Cette année, malgré les hauts plafonds et l’aspect froid d’un lieu comme Paris-Expo, on ne regrettait pas l’époque des tentes ! Vingt-six ans donc que la FIAC existe, accompagnant l’art contemporain dans sa période glorieuse des années 80, puis dans celle, plus sombre, de la décennie suivante.

Qu’est-ce qu’une seconde foire d’art contemporain située dans la même ville et aux mêmes dates apportait de plus ? Honnêtement, pas grand chose. A l’inverse de la FIAC, qui avait choisi l’un des vastes halls impersonnels de la Porte de Versailles pour placer ses cimaises, Art Paris avait préféré la convivialité d’un lieu plus modeste, le Carrousel du Louvre, mais situé au cœur de la capitale, sous la bienveillance des maîtres du passé.
Si à la FIAC, l’heure n’était plus à l’intimité (25 pays représentés par 180 galeries), Art Paris prétendait s’opposer à « une vision mondialiste du marché de l’art » en invitant seulement cinquante-cinq galeries plus ou moins connues, dont quinze de pays étrangers (Brésil, Hollande, Belgique, Corée du Sud, etc.). La grande qualité d’Art Paris, disons-le franchement, c’est l’impression qu’elle donnait au visiteur de ne pas être débordé par des allées immenses et des galeries de tous côtés. De bonnes conditions pour apprécier ce que l’on voit, ça n’est pas négligeable… Sur le salon, les avis étaient très partagés, certains le qualifiant de « sous-FIAC », d’autres étant réellement étonnés d’y trouver des œuvres intéressantes. Quoi qu’il en soit, peu nombreux sans doute sont ceux qui s’y sont rendus sans comparer Art-Paris à la FIAC.
Cette dernière, forte de son expérience, a proposé des services nouveaux : elle a offert par exemple un quotidien qui abordait des thèmes tels que « L’Amérique latine à Paris », « Qu’est-ce qu’un galeriste ? » ou encore une  » Enquête sur les collectionneurs » ; elle a aussi créé, dans un hall différent, un espace sculptures et installations, ainsi qu’un Café des Arts, dynamique, accueillant plusieurs débats par jour.

Qu’en est-il du contenu ? Celui qui aurait pu être surpris par les œuvres exposées n’est certainement pas allé dans un musée ou une galerie d’art contemporain depuis un bon nombre d’années, voire de décennies. La FIAC s’ouvrait en effet, avec la galerie Nelly Nahmad, sur un Nu couché aux bras levés de Modigliani, non loin de Matisse et Picasso. Le ton semblait donné avec beaucoup de « valeurs sûres » : Viallat, Arman, Combas, Hains, Penone, etc.
Alors, que nous réservaient-elles ? Pierrick Sorin, présent avec L’Homme qui a perdu ses clefs. Ses vidéos sont devenues de véritables rendez-vous, comme on retrouve son feuilleton préféré de semaine en semaine. Les retrouvailles avec son œuvre sont malheureusement moins fréquentes.
Son personnage, un monsieur tout-le-monde, légèrement plus antihéros que la moyenne, connaît bien des aventures… Cette année, il avait donc perdu ses clefs et l’on pouvait voir grandir son inquiétude sur un écran géant ainsi qu’en 3D : sa vidéo évolue dans une maquette. Le même procédé était utilisé dans un autre film : le téléphone sonne, Pierrick Sorin est assis et laisse le répondeur se mettre en marche.

Que des histoires bien banales, mais une approche de la réalité pourtant fascinante. Autre expérience marquante : croiser Orlan dans les allées de la FIAC. Cette artiste, qui a choisi son image comme centre de ses expérimentations, a subi neuf opérations chirurgicales, devenues de ce fait de véritables performances. L’action d’Orlan se trouve donc dans ce qu’elle va décider de modifier sur son visage, dans l’intervention elle-même, et elle se poursuit dans le regard que l’on pose ensuite sur elle. Le voyeur (n’ayons pas peur des mots), qui était d’ailleurs prévu dans le processus dès le début, participe à l’expérience.

Art Paris comptait vingt-cinq œuvres de Chaissac dans la galerie Callu Merite ; un hommage à Olivier Debré par la galerie Frank Pages et, Rebeyrolle, Appel, Klimt, Picasso, Hartung, Dufy ou Chagall chez le Hollandais Frans Jacobs. En dehors de ces grands noms, retenons le travail de Rudy Lanjouw (voir photo) aux signes, traces d’encre, coulures ou transparences parfois rehaussées d’or (présenté par la galerie Anderwereld-Kantuin). Les compositions, entre abstraction et représentation de Jean-Gilles Badaire, quant à elles, nous accueillaient à l’entrée de l’une des salles avec la galerie Askéo art contemporain, à laquelle succédait la galerie belge Pierre Hallet qui défend depuis ses débuts la peinture de Petrus De Man. Ses personnages fragiles et forcément seuls, comme ce petit bonhomme recroquevillé sur son lit et « englouti » par le rouge sang qui l’entoure, sont bouleversants.

Lors d’une des rencontres au Café des Arts, durant la FIAC, Pierre Restany -théoricien du Nouveau Réalisme et critique d’art- et Nicolas Bourriaud -critique d’art et responsable du futur centre d’art contemporain, le Palais de Tokyo- proposaient de voir ces foires comme un marché africain, auquel on viendrait pour prendre des nouvelles ou ressentir son appartenance à une tribu, bien plus que pour faire des affaires.
La raison d’une telle manifestation serait donc « plus anthropologique que commerciale ». Effectivement, l’art ne fait-il pas que parler inlassablement de l’homme et de ses rapports avec ce et ceux qui l’entourent ?

La FIAC s’est déroulée du 15 au 20 septembre 1999 au pavillon du Parc-Paris Expo et Art Paris, du 16 au 20 septembre 1999, au Carrousel du Louvre