Don Nino aka Nicolas Laureau reprend ses maîtres de musique dans Mentor, menteurs ! album solo de super belle facture, entre dark-folk et psychédélisme 2007. Petite mail-interview avant son concert à Paris (06.07.07).
Chronic’art : Comment est né ce projet d’album de reprise ?
Don Nino : C’est un projet maintenant assez ancien. Je me pose et me suis toujours posé un questionnement sur la descendance, la filiation et le rapport au père, au mentor. Si bien qu’il est devenu assez intéressant pour moi d’en faire une matière artistique, ou au moins un coin de réflexion, peut-être une aire de jeu. Je crois que ce désir de faire un disque de reprises de morceaux assez éclatés reflétant des souvenirs d’écoutes insouciantes remonte à 2000, année où je démarrai mes deux nouveaux projets Don Nino et NLF3.
Le titre de ton album Mentors, menteurs est ambigu, comme un hommage amer. Quelle est ta relation avec tes « maîtres » de musique ?
Ah non, il n’y a aucune amertume, c’est juste un gimmick un peu môme, non ? Je crois avoir choisi ce titre pour cela, pour le fait qu’on ne dit « menteurs ! » qu’à son bien aimé, ou enfant, dans les cours de récréation. Je n’ai précisément aucune relation particulière avec les compositeurs/interprètes de ces morceaux qui m’ont marqués, jeune (mis à part T. More avec lequel j’avais brièvement discuté une fois à NY et qui semble être le vieil ami de tout le monde), et l’idée était de renouer avec l’état de simplicité à travers lequel ces morceaux ont pu me faire quelque chose et d’essayer de retranscrire ces impressions dans mon mode d’expression musical. Avec parfois un respect et / ou une insouciance non dissimulés, je crois.
Ton parcours musical est traversé par l’idée de paternité et de filiation (tu t’appelles Don Nino, tu reprend ici tes « pères spirituels »). Est-ce que cet album est une manière de régler des comptes oedipiens ?
Oui, complètement. C’est aussi, à un niveau moins important, une forme de recherche sur les raisons qui m’ont amenées à faire de la musique plutôt qu’autre chose dans ma vie.
Plus généralement, comment conçois-tu les notions de tradition et la transmission, dans le cadre de la pop music ? Est-ce que l’histoire de la pop n’est pas qu’une histoire de cycles, d’emprunts, de répétitions ? Que représente pour toi la « reprise » dans cette histoire ? Comment t’inscris-tu toi-même dans cette histoire ?
Pour moi, beaucoup de musiciens, de producteurs ont cette conscience de l’emprunt, de l’hommage et entrent alors dans une démarche un peu de musicologue, un peu intello qui sort parfois de ce que j’appelle « l’aire de jeu ». La référence, l’hommage, l’emprunt peuvent être fascinants mais écrasants parfois et l’on peut vite basculer dans des réflexes stériles je trouve. Je suis d’accord avec cette idée que cette matière est vivante, sculptée par le temps et les différents acteurs et a tendance à fonctionner en cycles, les chansons, les styles à se recycler.
Mais je pense que se perdre dans cela n’a pas beaucoup d’intérêt. Généralement les artistes qui me plaisent sont des gens suffisamment bruts pour ne pas trop s’attarder sur ces problématiques. Ou alors de manière assez désinvolte ou inconsciente. Pour ma part, et par rapport à ce disque de reprises, c’est aussi une façon de prendre position sur la question, de faire mien des morceaux qui appartiennent vraiment à tous ou – plus rarement – que peu de gens ont déjà entendu (Nenhuma Dor ou At night par exemple), une façon ludique d’exprimer ce que je suis, et la façon dont je suis capable de modeler ce matériau, exprime totalement ce que je suis. C’est assez amusant d’entendre les gens réagir sur ce disque de reprises – où les goûts de chacun s’expriment aussi bien sur la préférence de titres, sur leur interprétation que bien sûr sur l’originalité de telle ou telle orchestration. Au final, les gens semblent mieux me comprendre, me connaître avec cet album qu’avec mes deux disques « originaux ». Et pourquoi pas ! Ce disque, C’est pour moi à la fois prendre partie et m’inscrire dans une tradition.
Peux-tu parler des artistes que tu reprends ? Ce qui te plait chez eux ?
Tu peux imaginer que le choix a été difficile et nous avons élagué au montage ou à l’enregistrement un morceau de Sting, de Nirvana, de Imagination. La contrainte de morceaux écoutés et aimés entre7 et 17 ans m’a bien aidé. On a « façonné » le montage définitif et le choix des reprises avec Dominique Petitgand, en concertation, pour que l’album exprime réellement quelque chose et s’écoute comme un album original.
J’ai choisi de chanter dans plusieurs langues, français pour Gainsbourg, portugais pour Veloso, espagnol pour Jeannette et tout le reste en anglais, dans l’idée que malgré tout, ce mélange idiomatique fait partie de mon environnement quotidien et familial.
Syd Barrett ?
Forcément son rapport introspectif, sans convention à la musique et aux textes, son univers pour moi profondément proche de l’art brut.
Jeannette ?
Porque te vas est cette perle pop qui transcende le film de Carlos Saura Cria cervos. Grand choc émotif de mes 10-11 ans si je me souviens bien. J’étais tombé amoureux de Ana Torrent, comme beaucoup d’enfants de mon âge. De nombreuses reprises abominables ont essayé de pourrir ce doux souvenir. Je n’ai pas hésité une seule seconde à la refaire.
Sonic Youth ?
Ce sont eux qui m’ont convaincu que la musique ferait partie de ma vie définitivement lorsque je suis allé acheté une cassette de Sister dans un Rough Trade ou autre de Londres en 1988.
Propos recueillis par
Lire notre chronique de Mentor, menteurs !