A la tête de Konami UK Development Studio, Dave Cox marque une halte à Paris dans sa tournée en Europe, pour faire la promotion de Mirror of Fate, le dernier Castlevania sur 3DS. Producteur des Lords of Shadow, il est à l’origine de la rencontre entre Mercury Steam, studio espagnol, et du japonais Konami, preuve d’un mariage harmonieux entre influences occidentales et orientales. Disert, connaisseur de la série et ses héritages, le producteur revient sur le reboot de cette foisonnante série, et sur sa propre (ré)vision du mythe vampire.

 

Chronic’art : D’où vient Lords of Shadow ?

Dave Cox : En 2006, Konami voulait relancer Castlevania, lui donner une nouvelle impulsion. Ils ont donc demandé à toutes leurs branches internationales de proposer des prototypes. Avec mon équipe, nous sommes tout de suite partis sur l’idée d’un reboot, qui retracerait les origines des Dracula. Un an avant, j’avais visité un studio espagnol, Mercury Steam, qui m’avait contacté pour me montrer leur nouveau moteur 3D. Le résultat graphique était impressionnant. On leur a donc demandé de faire une démo de Castlevania avec ce moteur, qu’on a présenté à Konami Japon, un an après. On a juste dit : « On va repartir de zéro », puis on a lancé la vidéo. Il y avait 5 ou 6 projets en plus du nôtre. Tous voulaient revenir à l’esprit premier de la série. Ils ont finalement retenu le nôtre. On a eu de la chance : c’était le plus radical, mais aussi le plus risqué. Les chances de se planter étaient énormes. Mais où est l’intérêt, sans un minimum de pression ?

 

Vous pensiez aussi que Castlevania tournait en rond ?

Un peu…. La série existe depuis 25 ans déjà. A la fin des années 90, elle a pris un tournant un peu regrettable, en voulant copier Metroid à tout prix. A force, elle avait perdu la flamboyance de ses débuts, et ne s’adressait plus qu’à une poignée de fans. Notre rêve de tout recommencer a été liée à une promesse : ouvrir Castlevania à un public plus large. C’est pour ça qu’on a choisi de raconter la même histoire, mais du point de vue de Dracula. On a fait notre « Dracula Begins » : l’histoire d’un homme et de sa chute.

 

Kojima Production et Hideo Kojima lui-même ont été crédités au développement de Lords of Shadow 1. Quels ont été leurs rôles ? Pourquoi ne sont-ils plus à l’affiche ?

Kojima, qui avait assisté à la démo, a vu qu’on galérait un peu à faire passer le projet auprès de certains pontes de Konami. Il a décidé de mettre son nom sur la franchise, pour appuyer le projet. Il est resté comme consultant, mais il n’est jamais intervenu directement sur le développement. Vu que le jeu a bien marché, on a pensé qu’il n’était plus nécessaire pour lui de remettre sa réputation en jeu. Il a compris qu’on maîtrisait et ne s’est pas vexé. Puis, il a assez de boulot comme ça. Les gens pensent souvent qu’il est intervenu sur les cinématiques, ce qui est faux. Vu que tout le monde a joué à ses jeux, son influence a surement été inconsciente, mais jamais au-delà.

 

Pourquoi choisir de raconter l’Histoire des Belmont dans Mirror of Fate ?

Il faut se rappeler que les premiers Castlevania, c’était un homme, Simon, qui se rendait au château de Dracula, et basta. Notre but a été identique à celui de Lords of Shadow : revenir aux origines de la guerre entre les Belmont et Dracula, savoir ce qui a démarré cette éternelle effusion de sang. La difficulté a été de rester fidèle à l’identité originale de la série, tout en lui injectant du sang neuf. Quand on a fait le bilan du premier Lords of Shadow, la première décision a été de revenir au concept de lieu unique, et du déplacement libre entre les ailes du château. Lords of Shadow avait cet aspect de couloir linéaire un peu gênant. Notre technologie était jeune, on était encore bridé par elle.

 

Mirror of Fate a beau être un épisode intercalaire, il a son indépendance. Comment vous avez-vous travaillez cette transition entre les trois épisodes ?

Pour tout vous dire, rien de tout ça n’était prévu (rires). Quand on travaillait sur Lords of Shadow, aucun d’entre nous, pas même Konami, ne croyait au succès. En revanche, l’arc narratif des Belmont lui, était prévu depuis le début. Nous avions l’idée générale, il fallait juste développer dans les moindres détails. Mercury Steam avait besoin de travail après Lords of Shadow, et Konami demandait déjà de nouveaux projets. L’idée d’un épisode portable est venue à ce moment-là. On a eu le feu vert, et Lords of Shadow s’est fini peu de temps après. Ça été le plus grand succès de tous les Castlevania. On a été estomaqué. Konami nous a alors demandé une suite sur next-gen. Il a fallu les convaincre de finir l’épisode portable d’abord, qui était déjà bien avancé. La difficulté a été de donner à l’histoire une autonomie totale. Que celui qui n’a jamais joué à Lords of Shadow n’en soit pas gêné et rentre dans le jeu tout de suite. Mais si le scénario de Mirror of Fate tient tout seul, il se nourrit d’un background plus large, qu’il faut explorer si on veut tout saisir.

 

Côté gameplay, le jeu se rapproche plutôt des Castlevania classiques. Peut-on voir un hommage ou un retour aux sources ?

Les deux, je dirais. On s’est beaucoup inspiré de Dracula’s Curse (le troisième Castlevania, ndlr). C’est le premier à avoir proposé un scénario à personnages et embranchements multiples. En revanche, je ne pense pas que le jeu revienne au metroidvania. Le scénario suit les personnages de façon linéaire. Il a fallu chercher un juste milieu entre l’ancien et le moderne : les combats en 2.5D, les secrets à débloquer avec de nouvelles features, etc. Pour les combats, on s’est beaucoup inspiré des jeux de versus fighting, comme Street Fighter ou Soul Calibur. Il fallait que les combats soient aussi physiques qu’arcade, qu’on ait envie d’aller plus loin dans leur technicité, de varier entre combos et coups magiques.

 

Oui, on sent un besoin de retrouver le feeling un peu hardcore des débuts…

La sensation de puissance, le choix instinctif de tactique, la présence des pouvoirs pour se la jouer bourrin ou subtil : toutes ces données ont été fondamentales pour nous. Il fallait que le joueur puisse se dire qu’il progresse parce qu’il joue bien, ou mieux. La prise en main du jeu est difficile au début, mais une fois maîtrisée, il y a une gratification. Je pense qu’on ne peut survivre bien longtemps dans un Castlevania à juste marteler les boutons !

 

D’un point de vue narratif, l’histoire des Belmont est construite comme un soap opera familial, avec pas mal d’échos entre les époques…

Le début du jeu peut paraître déstabilisant sur ce point, mais c’est une manière de jouer sur l’attente. C’est comme la première fois qu’on regarde Memento. Tout est confus, mais à la fin, on se dit : «  Il faut que je le regarde de nouveau », et c’est là que les révélations apparaissent. J’espère que ce sera la même chose pour notre jeu, que les gens pourront regarder Dracula d’un œil nouveau, en se disant « OK, tu es un sale type, mais je comprends mieux pourquoi »».

 

La structure du château évolue avec les personnages, c’est presque un personnage en soi…

La plus grande satisfaction sur cet épisode a été de travailler le level-design du château de Dracula comme un monde artificiel auquel il fallait donner vie et cohérence. Le château jouera aussi un rôle primordial dans Lords of Shadow 2. Il fait le lien entre les époques et les personnages, il crée des ponts entre les événements. En apparence, Mirror of Fate est un jeu d’action en scrolling 2D. Mais plus on creuse, plus on y trouve des facettes alternatives, plus modernes. Il y a une vraie profondeur grâce à l’espace. Et je ne parle pas seulement de l’effet 3D de la console.

 

Le relief est particulièrement travaillé.

Passer d’une next-gen à une portable a été une contrainte technique, je ne vous le cache pas. Ce qui importait, c’est que l’image ait ce « parfum » (flavour) unique, que chaque personnage se dissocie du fond (pop out) avec force. Les cinématiques sont aussi en cell-shading pour donner justement à l’ensemble une atmosphère de comics. Au début, on voulait faire un épisode entièrement cartoon et 2D. Etrangement, les personnages en polygones ressortent mieux sur un effet de relief, l’image y prend vie plus facilement.

 

Le ton du jeu semble plus léger que Lords of Shadow, qui était très mélancolique…

Avec Lords of Shadow, on nous reprochait d’être trop sérieux avec notre sujet ! Je ne pense pas que cette noirceur se soit perdue en route. Le jeu est loin d’être mignon. Ce qui nous importe depuis le début, c’est de montrer la solitude de Dracula, que les gens oublient parfois. Le Mal n’est jamais noir ou blanc. Nos héros, même s’ils sont animés des meilleures intentions, ont leur part de noirceur. Dans Mirror of Fate, c’est justement la question de la transmission du Mal qui est au cœur du sujet. Comment une génération peut contaminer les suivantes par ses fautes. Je pense d’ailleurs que vous serez surpris par ce que réserve Mirror of Fate. Et je ne parle même pas de Lords of Shadow 2 !

 

A ce propos, que pouvez-vous nous dire du prochain Lords of Shadow 2 ?

Je peux vous révéler que le jeu sera le plus sombre des trois, et ira très loin dans cette noirceur ! Le jeu se déroulera à notre époque, sur une seule nuit, alors que Dracula se remémore les années de son règne. L’action de Mirror of Fate aura des conséquences sur ce qui s’y passe. Les choix de Dracula viendront le hanter. Ca sera notre dernier Castlevania, on y a mis toute nos forces pour que les gens puissent s’en souvenir pour les années à venir.

 

Lire notre chronique de Castlevania Lords of Shadow : Mirror of Fate