Fondé sur les ruines de Levitation, Dark Star reprend le fil d’une histoire chaotique interrompue par la drogue et les excès divers. 20/20 Sound, album fort et sans concession, salue les débuts de chanteur de Bic Hayes (guitare) et l’arrivée d’un clavier, Robert White.


Chronic’art : Comment s’est achevée l’aventure Levitation ?

Laurence O’Keefe : Le temps imparti à Levitation était écoulé. Son décès a été une sorte d’euthanasie. Cependant, il nous a fallu plus que du courage -je dirais de la folie- pour y mettre un terme. Nous avions initialement pensé continuer… Quand tout s’est arrêté, qu’on a eu du temps pour réfléchir, on a réalisé que l’histoire n’était pas terminée.

D’où vient un nom comme Dark Star ?

Laurence : C’est juste un nom. On avait dressé une liste de possibilités. Notre manager nous a appelés d’Amérique, et nous dit sans raison « j’ai toujours rêvé de manager un groupe s’appelant Dark Star ». Ce nom figurait sur notre liste, au milieu de cinq autres. Que faire d’autre sinon l’adopter ? Il y a quelques connotations intéressantes à Dark Star, mais elles sont involontaires. Après tout, les Beatles étaient avant tout des insectes…

On raconte que vous avez formé Dark Star après un concert de Sonic Youth…

Laurence : Oui. Un soir, nous sommes allés voir Sonic Youth tous ensemble. On hallucinait. On se regardait tous les trois, en se disant : c’est ce qu’on faisait, on transmettait ainsi nos émotions. Ça a été le moment décisif pour nous. On a répété ensemble une quinzaine de jours plus tard et on a commencé aussitôt à composer. On a mis une K7, on a joué, ensuite on a réécouté et voilà… On avait un tel passif commun qu’on a pu recommencer à improviser. Ce genre d’accidents est la vraie bonne méthode pour nous. On n’arrive pas à prendre une guitare acoustique et à composer sagement dans notre coin.

Et comment s’était formé Levitation ?

David Francolini : J’ai rencontré Laurence à la fin des années 80.

Laurence : A un concert de Duran Duran ! (rires)

David : J’avais déjà rencontré Terry Bickers (chanteur de Levitation) et on a formé Levitation, qui a explosé après quelques années ; ce qu’on attendait plus ou moins car on était une bande de fous, avec des idées de dingues. On n’agissait pas vraiment comme un groupe normal. On était plus expérimentaux. Le split consommé, on a traîné à Londres, en cherchant à s’occuper, en attendant le moment de se retrouver pour achever cette histoire.

Laurence : Dark Star est la suite de l’histoire.

Le Retour de la Vengeance, donc. D’où viennent votre son et votre style très particuliers, très personnels ?

David : En fait, on n’y pense pas. Bic, Laurence et moi n’avons jamais parlé musique ensemble. Nos références et nos façons d’interpréter la musique sont très similaires. On pressent ce que l’autre aime ou non. Nous sommes aussi nos pires critiques. Notre façon de composer est quasi magique. On joue à fond, on y va, et les chansons naissent sans que personne ne soit jamais arrivé à la répét’ en disant avoir une idée de morceau. On canalise notre énergie, on improvise…

Laurence : J’ai expliqué ça pendant que tu achetais tes cigarettes.

Autant avoir les deux versions d’une même histoire.

David : Une fois le paysage sonore créé, nous le découpons en morceaux. J’aime cet album, il restitue parfaitement notre état d’esprit au moment où nous l’avons écrit. C’était une période intense, il se passait beaucoup de choses pénibles dans nos vies et ce disque se devait de naître, même si c’était douloureux. Ou cruel. Nous ne pouvions plus nous échapper. Je n’en pouvais plus de subir ces groupes nuls à la radio. Je disais à Bic et Laurence qu’on pourrait faire tellement mieux. Ce disque nous a aussi permis de reconstruire notre estime personnelle. La presse s’était fichue de nous après notre split. A raison, d’ailleurs, car on était risibles, dans la dope jusqu’aux yeux. Revenir n’était pas évident, mais on l’a fait, avec un album ultra-focalisé.

Et en signant chez EMI.

Laurence : Les gens d’EMI étaient sûrement les plus motivés pour nous signer. Ils ont vite pigé à qui ils avaient affaire et nous ont promis de ne pas mettre leur nez dans notre boulot.

David : Ils ont compris que ce que nous faisions comptait vraiment à nos yeux. En termes de potentiel commercial, on représentait une forme de suicide cependant. On a toujours mené notre barque de façon anarchique, mais EMI a vu du potentiel en nous. On a également signé à cause des gens qui bossaient et vont rester là. EMI est une boite qui va rester forte, solide, pendant les quelques années à venir, cruciales pour nous.

Laurence : C’est la dernière compagnie de disques indépendante, aussi incroyable que cela puisse sembler.

David : Avant, on déconnait en disant : « on veut le label de Pink Floyd, de Harvest ». Et maintenant, on l’a !

Que se passe-t-il musicalement à Londres ces jours-ci ?

Laurence : La scène est très fragmentée. Et bien plus intéressante depuis que la brit pop est morte. Les gens commencent à reprendre confiance en eux. Avant, tout le monde se disait qu’il fallait réviser ses classiques des Beatles avant de faire un disque.

David : Quand Oasis est arrivé et a tout pulvérisé, ça a fait un bien fou à la presse musicale et aux maisons de disques qui avaient besoin d’un gros truc à exporter. Il y avait longtemps qu’il n’y avait pas eu de groupe anglais énorme. Le coup d’Oasis avait été bien planifié. Les conséquences de leur succès ont été très barbantes : toutes sortes de groupes sont tombés aux oubliettes parce qu’ils ne résistaient pas à cette concurrence-là. Damon Albarn a été le plus intelligent : il a profité de cette vague brit pop avant d’en déclarer sa mort… Et Damon s’est mis depuis à pondre des disques brilliants !

Laurence : Il y a moins de groupes que par le passé, ce qui n’est pas si gênant, car la scène s’embourbait et tournait en rond. Tout le monde était dans un groupe ou en manageait un… J’en avais ras-le-bol de ce petit monde-là.

David : C’est un peu la faute de la presse hebdomadaire. Toutes les semaines, le courant change… Quand on a signé notre contrat, on se fichait de l’avance qu’on toucherait. En revanche, on voulait une carrière durable. On préfère d’ailleurs ne pas être chroniqués dans cette presse. On travaille dur, on va retravailler sur le prochain album en juillet, ce n’est pas pour qu’un journaliste démolisse tout avec ses opinions sur notre single.

La vidéo de Graceadelica est très spectaculaire. Combien d’accidents pendant le tournage ?

Laurence : Il y a eu un accident. J’ai été coupé à la tête. Nous avions utilisé tous ces objets en sucre imitant le verre et quelqu’un m’a balancé un vrai vase à la figure sans le savoir. Ce clip a été réalisé par un ami à nous, Tim, qui nous a proposé cette idée de pièce qui explose.

David : Il avait produit un album de Levitation.

Laurence : Je n’ai pas envie de bosser avec ces grosses maisons de production pleines de fric qui réalisent des clips coûtant des fortunes. Je préfère donner leur chance à des mecs créatifs, indépendants, qui ont de vraies idées personnelles. En ayant du succès, on peut aider des artistes à percer aussi. Je crois en cette sorte de mécénat. Le label viendra ensuite, quand nous serons moins débordés.

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