Cécile Schott revient avec son troisième album sous le nom de Colleen, le très personnel et audacieux Les Ondes Silencieuses. Cet album marque un changement d’approche de la part de la parisienne. Oubliés les samples, Cécile leur préfère les sons organiques produits par une série d’instruments inhabituels, sans ornementations. Interview.

Cécile Schott : J’ai découvert la viole de Gambe comme tout le monde, en découvrant le film Tous les matins du monde, quand j’avais 15-16 ans, ça avait été diffusé à la télé. J’avais la bande originale du film et je trouvais déjà la musique de Marin Marais très moderne. Plus tard, j’ai aussi écouté Couperin ou Purcell. A l’époque je commençais juste à apprendre la guitare et je me souviens que le son de la viole m’a beaucoup marqué, tout en me disant que c’était un instrument impossible d’accès pour moi, vu que je n’étais pas du tout dans une famille musicale. C’était une sorte de fantasme très éloigné. Ensuite, bien des choses se sont passées, jusqu’à il y a quatre ans, où j’ai commencé à jouer du violoncelle. Je pense que j’avais toujours le rêve de jouer de la viole de Gambe, mais le violoncelle était plus accessible financièrement, il y avait plus de cours, et c’était moins compliqué de s’en procurer un également. Et puis, il y a deux ans, j’ai vu une viole dans la vitrine d’un luthier, rue de Rome, et je me suis dit « Tu pensais que tu ne jouerais jamais de violoncelle et tu l’as fait. Pourquoi tu ne trouverais pas une solution pour jouer de la viole également ? ». Du coup, j’ai trouvé sur Internet un luthier intéressant, qui avait construit une viole electro-acoustique, de petite taille, avec un micro intégré, et ce luthier avait l’air assez ouvert. Moi j’avais peur d’aborder le monde de la musique baroque, d’être un peu un intrus là-dedans, mais je l’ai contacté, je l’ai rencontré, et je lui ai commandé une viole, qui est arrivée neuf mois plus tard. C’était une bonne décision.

Chronic’art : Quelles sont les différences entre la viole et le violoncelle ?

Déjà, les cordes sont en boyaux au lieu d’être en métal, ce qui donne un son très différent ; et il y a six ou sept cordes au lieu de quatre, ce qui donne un mélange entre guitare et violoncelle, puisqu’on peut fréquemment jouer deux cordes en même temps, comme une sorte d’accord, ce qui permet de jouer l’accompagnement et la mélodie en même temps. La technique d’archet est différente aussi, puisqu’on tient l’archet par en dessous plutôt que par-dessus. Enfin, la taille et la forme des violes ne sont pas standardisées. Moi j’ai une viole assez large, avec beaucoup de rondeur et d’harmoniques. En tout cas, ça fait un son beaucoup plus organique : autrefois, on disait que les violes avaient le son de voix humaines, je trouve ça très juste. C’est moins romantique que le violoncelle, beaucoup plus versatile.

On a l’impression que chacun de tes disques est volontairement différent du précédent et correspond à l’exploration d’un instrument, ou d’un territoire musical…

Ce n’était pas vraiment planifié au départ, mais je pense qu’on doit toujours essayer de ne pas se répéter. Entre le premier et le deuxième album, j’ai voulu passer des samples aux instruments enregistrés. Et avec le troisième, j’ai accompli mon rêve d’utiliser des instruments d’une autre époque. Je ne voulais pas juste faire un hommage : si on une bonne discothèque, on se dit que tout a déjà été fait avec la viole de Gambe, que l’édifice est déjà énorme. Je voulais jouer pour les amateurs de musique baroque, mais aussi pour ceux qui ne connaissait pas cet instrument. J’ai ajouté un clavecin et de la clarinette, dont je trouve le son très intéressant, joué autant dans la musique classique que le jazz. Tout est parti de ces instruments qui me faisaient rêver, je voulais faire un disque à partir des instruments, avec une identité sonore propre à chaque disque.
Est-ce que tu as l’impression d’avoir ajouté quelque chose au répertoire de cette musique, de ces instruments, avec ce disque ?

Je ne sais pas. Je n’ai pas encore osé le faire écouter à la prof qui me donne des cours. Je suis contente de l’album, mais je ne peux pas me comparer à Marin Marais, Sainte Colombe, Purcell ou des gens comme ça. En tout cas, je n’ai pas envie de faire un pastiche, et je veux d’évoluer dans mon travail : au début, je travaillais la boucle, la répétition, et là je suis beaucoup plus dans l’espace, le silence, les harmonies et les mélodies, ce que je ne faisais pas avant, et ce qui était peut-être un défaut. Dans un an, je pense que je saurai un peu mieux si ce travail a un intérêt, puisque je commence à recevoir des offres pour jouer dans des cadres plus « classiques » et je ne sais pas comment je vais être reçue par ce milieu. Quoi qu’il en soit, j’ai hâte de voir les répercussions.

Est-ce que c’est encore de la pop ?

J’ai du mal à classifier mon style, mais ça devient encore plus hybride qu’avant. En tout cas, ce n’est pas de la pop, mais ce n’est pas non plus de la musique contemporaine, ça n’en a pas l’aridité. Moi, je suis très ancrée dans la mélodie. Ca se rapproche de la pop, parce que je compose en improvisant, comme si j’étais dans un groupe de pop, comme avec une guitare. On joue d’un instrument et on garde ce qui nous plaît.

Tu as enregistré l’album avec Emiliano Flores (de la constellation Clapping Music / Active Suspension). Quels ont été les partis pris en matière de production ?

Emiliano m’a un peu sauvé la vie en décembre dernier, parce que j’étais en retard sur l’enregistrement de l’album. Comme je faisais pas mal de concerts, je n’avais pas vraiment le temps de composer (et je pense qu’il faut avoir de longues plages d’inactivité pour pouvoir composer). Par ailleurs je suis quelqu’un d’assez têtue et bornée et j’ai pris l’habitude de travailler dans la solitude, parce que c’est plus pratique pour plein de raisons. Et lorsque j’ai essayé d’enregistrer la viole, je me suis rendu compte que c’était un son très complexe à capturer. Donc, je n’y arrivais pas, et je l’ai appelé. Lui était très intéressé par l’idée d’enregistrer cet instrument. On a donc fait la moitié de l’album dans le grenier de ses parents, en banlieue parisienne, et le son en a été complètement métamorphosé. On voulait un son très naturaliste, parce que j’ai une viole qui sonne très bien, à la différence du deuxième album, où je ne jouais pas sur un excellent violoncelle, et où je voulais du coup modifier les instruments avec des effets. Là, je voulais respecter la beauté de ce son. Emiliano m’a montré comment travailler, il m’a laissé un micro pour enregistrer chez moi. Puis on a un peu travaillé la post-production en rajoutant des émulations de réverbs naturelles, sans tomber dans la production ECM. Emiliano a été déterminant parce qu’il a su spatialiser le son, mettre les instruments à gauche ou à droite, pour qu’un auditeur qui écoute au casque puisse avoir l’impression d’entendre un ensemble de violes, dans une même pièce…

Le titre de l’album est Ondes silencieuses. C’est en référence à la thématique aquatique qui parcourt un peu l’album ?

Oui, j’ai lutté un peu contre cette tendance à mettre des choses aquatiques dans tous mes titres de morceaux. Et sans m’en rendre compte, j’ai encore fait pire que pour les albums précédents. Donc j’accepte ça. Le titre se réfère à plusieurs choses : l’idée d’une eau calme, du sentiment que tu peux avoir en étant près d’un lac, d’un étang. En apparence, il ne se passe pas grand-chose, mais il y a quand même une multitude d’événements, des petits insectes, des nénuphars, qui participent d’une sorte de paysage d’eau et de silence, mais avec une vie, un peu souterraine. Le titre fait aussi référence aux ondes sonores, à une musique du silence. J’ai regardé sur Internet si la combinaison « ondes silencieuses » existait, et je me suis aperçu que ce terme désignait les ondes propagées avant un tremblement de terre, celles que seuls les animaux entendent. Je trouvais ça un peu triste d’abord, puis j’ai trouvé intéressante cette idée de sons que les humains n’entendent pas… J’espère que les gens auront l’impression que cette musique est calme en apparence mais qu’on ne va pas non plus s’endormir, qu’il se passe quelque chose…

Propos recueillis par

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