Centenaire regroupe Damien Mingus (My Jazzy Child), Aurélien Potier, Orval Carlos Sibelius et Stéphane Laporte (Domotic). Entre rituels primitifs, magie blanche et narrations médiévales, l’album de Centenaire est une belle balade dans un univers musical acoustique. Avant leur concert de samedi au Café de la Danse, rencontre avec un groupe virtuose et vibrionnant.
Chronic’art : La musique de Centenaire rappelle la musique médiévale et certaines chansons s’inspirent d’histoires de rois et de châteaux forts. Est-ce que ces thématiques se sont imposées en fonction du nom du groupe et de la formule (instrumentarium acoustique) ou était-ce dès le départ une inspiration (littéraire, musicale, lesquelles) ?
Damien : Je pense que l’instrumentarium y est finalement pour beaucoup. On ne s’est jamais dit : faisons un groupe qui puiserait son influence dans l’histoire et la » culture » médiévale (et puis ce n est pas notre propos d’ailleurs). Mais disons qu’en tant qu’amateurs de beaux instruments, on s’est beaucoup intéressé la musique ancienne (baroque et médiévale) avant tout pour les instruments évidemment, mais aussi pour « la quinte du loup », la « note du diable », le triton… autant de termes qui laissent rêveurs, des cycles et des formats qui n’ont que peu à voir avec les nôtres etc. La musique avant Bach, et avant que le LA tempéré (LA 440hz) ne devienne l’étalon de référence, ne « sonne » vraiment pas de la même façon qu’aujourd’hui. C’est avant tout ça qui nous a interpellé je pense. Mais il y a aussi un coté « pragmatique ». Lorsque l’on chante à deux dans une même chanson, qu on se partage des couplets des refrains etc., on doit se mettre d’accord sur une histoire à raconter, un terrain d’entente entre tous les membres du groupe. Très souvent on part d’une phrase qui sonne bien, ou de l’univers que nous inspire un passage musical sur lequel on travaille. Après c’est un travail d’écriture, qui est toujours avant tout musical. On va plutôt changer des mots pour faire rentrer la phrase dans la mélodie plutôt que l’inverse. Et il se trouve qu on avait tous les quatre envie de raconter des histoires un peu « extraordinaires », de créer un univers dans lequel on pouvait tous se retrouver tous les quatre, ce qui n est pas toujours évident. Celui qui chante écrit ses propres paroles, mais on discute toujours de la direction, de l’univers que l’on vise dans tel ou tel morceau.
Aurélien disait que les concerts en appartement s’apparentaient aux concerts que faisaient les troubadours dans les cours d’Europe au Moyen Age. Jusqu’à quel point vous êtes vous intéressés à cette culture ?
Bon, on n’est pas devenu des nerds médiévaux pour autant ! C’est vraiment la musique qui nous a intéressé au départ, plus le baroque que la musique médiévale d’ailleurs, pour les raisons dont j ai parlé plus haut. Et cette influence est loin d’être la seule de Centenaire. Je crois qu’on a plus fantasmé et déliré sur cette période qu’autre chose. On a des images d’Épinal en tête et on s’est amusé avec, en la confrontant à pleins d’autres influences, de This Heat à l’Afro Beat (Strong est clairement un morceau africain !), en passant par Moondog ou le Velvet. Ce qui est sûr, c’est que même en chantant en Anglais, on n’avait pas du tout envie de faire une pop « angle saxonne » formatée. Se plonger dans un univers comme celui là nous a aussi permis de prendre une autre voie et d’avoir une approche à la fois plus naïve et expérimentale sur ces musiques dites » savantes « . Je pense que nous faisons avec Centenaire une musique finalement assez européenne, et ce n’est pas forcément par hasard.
C’est aussi une culture très chrétienne. The Swan, par exemple, évoque un Sufjan Stevens ambigu. Vous sentez-vous proches de lui et comment gérez-vous la prégnance du christianisme dans la musique médiévale ?
On est assez partagé sur Sufjan dans Centenaire en fait. Il y en a que ça agace ! Cela dit, je comprend qu on puisse trouver nos univers assez proches même si on y avait pas forcement pensé avant. Mais je pense que tu fais surtout allusion aux choix des instruments, peut être à la façon d’envisager le songwriting et à l’écriture un peu « mystique » de certains textes. Nous ne sommes pas un groupe catho si c’est ce que tu sous-entends ! Il y a même des personnes très critiques vis à vis du christianisme dans le groupe. C’est avant tout la musique qui nous intéresse, même si elle-même se nourrit de spiritualité. On est très amis tous les quatre, on se fait des bons repas, on parle musique, cinéma (bis), politique, spiritualité, religion, et on n’est pas forcément d’accord sur tout d’ailleurs… Donc forcément tout ça nous influence pour nos textes et nous permet de construire notre propre univers. Cela dit je crois qu’on reste tous très sensible à tout ce qui touche à la nature, à notre environnement direct, à l’influence que tout ça a sur nous et sur l’ordre des choses. Pas à la Al Gore ou à la Bové, mais d’une façon plus primitive et païenne je dirais.
La chanson The Day before évoque une sorte de transformation (presque magique) du passé par le présent. Ce pourrait être le credo de Centenaire ?
On pourrait dire ca comme ca oui ! On est tous des grands fans de musique, chacun a suivit son propre parcours musical, et c’est vrai qu’aujourd’hui on a des influences en commun qui datent parfois de plusieurs dizaines voir centaines d’années. L’idée est de pouvoir se servir de tout cet héritage pour réussir a créer notre propre musique, d’y piocher des éléments forts, mais dans le seul but de l’intégrer à notre musique. On a pas une approche nostalgique de tout ça, je dirais même qu’on a une approche plus « moderne » de la musique que ce que notre image laisse à penser. Notre vrai souci est de ne pas faire une musique « de genre », mais sans pour autant tomber dans le simple « mélange des styles ». C’est là toute l’excitation et la difficulté qu’il y a faire de la musique avec Centenaire. A propos des paroles de The Day before, ça fait allusion en effet aux possibilités qu’offre la fameuse quatrième dimension. On est tous assez fans de Philip K Dick, dont l’univers est tout à la fois sombre et psychédélique, et dans lequel on se retrouve parfaitement avec Centenaire. Ce texte s’inscrit un peu dans cette lignée.
Bugatti ou The Dress jouent sur des effets d’intimité et de proximité. Les références aux insectes et aux vêtements semblent vouloir jouer sur des impressions de « à même la peau ». Quel a été l’effet recherché ? Est-ce que les concerts en appartements ont influencés cette manière de composer ?
Axel : Il est difficile pour moi de chanter des émotions puissantes en anglais. Je préfère opter pour un point de vue de spectateur sur les choses, plus en retrait, avec le moins d’affect possible. Ceci explique peut-être cette thématique insecte : pouvoir observer confortablement les choses sans interférer avec elles.
Damien : C’est marrant parce que moi c’est tout le contraire en fait ! Je ne suis pas sûr qu on ai déjà discuté de ça avec Axel en plus. L’Anglais a pour moi a une vraie beauté dans sa « neutralité ». J’ai l’impression de pouvoir exprimer une émotion de façon assez précise avec peu de mots, alors que le Francais, par exemple, exige souvent un point de vue, un ton, une distance « romantique ». J’ai l’impression de pouvoir incarner plus facilement des « personnages » qu’Axel dans mes paroles, alors que lui arrive beaucoup mieux que moi à avoir une vue d’ensemble de l’histoire, à évoquer des images assez précises. On en joue finalement pas mal, surtout dans les morceaux un peu fantasmagoriques comme Swan ou Castle. Après on ne chante pas tout les morceaux à deux, et des morceaux comme The Dress ou Heavy for everyone tiennent justement à ce dépouillement et au coté plus intime des paroles. Les concerts d’appartements ne sont venus qu’après les chansons. On les a composé dans un salon, en jouant sur l acoustique de la pièce, le cadre du concert d’appartement convenait particulièrement à notre musique. Et c’est sûr que les morceaux les plus intimes et les plus « fragiles » prennent alors peut être plus de sens.
Ending fast évoque le « ici et maintenant » qui caractérise l’authenticité. Est-ce que Centenaire est un projet de réhabilitation de l’authenticité et de l’expérience (par les concerts sans amplification notamment) ?
Je ne pense pas qu ‘on est voulu « réhabiliter » quoique ce soit, mais c’est vrai que lorsque l’on a débuté Centenaire, on avait en tête de faire un disque, un groupe, dont on soit vraiment content, tant sur le plan des chansons, que sur le plan humain, sur la façon de bosser ensemble… On a tous fait des disques, joué et tourné avec des groupes différents, et on avait déjà beaucoup joué ensemble par le passé, donc on a pu se reposer un peu sur cette expérience pour éviter de refaire les mêmes erreurs et avancer ensemble dans la même direction. Le fait de partir travailler et enregistrer dans une vieille maison dans la campagne bretonne a aussi beaucoup façonné le groupe. C’est une sorte de vieux faux manoir du début du siècle dernier, qui ne paye pas de mine de l’extérieur, mais qui cache un très beau parc, avec des arbres bizarres, une mini foret de bambous, des plantes brésiliennes énormes, des corbeaux par dizaines en automne, et un petit canal tout au bout. C’est un endroit assez mystérieux, qui a complètement nourri nos chansons et notre univers, jusqu’à la pochette de Vesolt.
Certains d’entre vous ont surtout fait de la musique électronique, avec des machines, avant Centenaire. Il y avait un besoin de revenir aux vrais instruments ? Est-ce une sorte de réaction au home-studio partout et à la house filtrée ?
Ce n’est pas une réaction négative par rapport au home studio ou à une musique électronique un peu déshumanisée. On continue tous à travailler à nos projets solo sur ordinateur et à des musique peut-être plus électroniques. Donc ça n’est pas du tout une réaction à ces musiques là, mais plutôt une réponse à cette façon de travailler très égoïste et solitaire qu’impose le travail sur ordinateur. Il est vrai qu’une certaine frustration peut naître de cette pratique unique et du coup on parvient à équilibrer ça en jouant de la musique à plusieurs et avec des instruments acoustiques qui permettent une instantanéité, une présence et une vibration qui sont hyper agréables à ressentir. Ca nous permet d’improviser très spontanément et d’expérimenter très librement des tas de variation sur le son que l’on produit ; et c’est comme ça que naissent la plupart de nos morceaux : en faisant vibrer la pièce où nous jouons.
J’aime beaucoup la chanson Heavy for everyone. Comment expliquez-vous cette> chanson ? Qu’avez-vous voulu y exprimer ?
Axel : C’est une succession d’impressions ressenties au cours d’un enterrement auquel j’ai assisté. Je cherchais des paroles pour coller à l’ambiance un peu solennelle de ce morceau. Il y avait de la tristesse, de la paranoïa, de la rancœur. La ligne de chant, qui précède souvent le choix des mots, était un peu alambiquée. J’ai essayé de faire tenir ces émotions dans ce cadre, en trichant un peu avec la réalité.
Damien : Dans mon souvenir, ça n’a pas été l’une des plus compliquées à composer. C’est venu assez rapidement pendant une improvisation au coin du feu. C’est aussi l’une de mes préférées.
Propos recueillis par
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