Dans son dernier film, Nos Vies heureuses, Jacques Maillot met en scène un groupe d’amis d’une trentaine d’années gravitant autour de trois jeunes femmes qui partagent un appartement. Parmi elles, Cécile, cheveux courts, look garçon manqué, ne sait pas trop quoi faire de sa vie. Elle photographie tout ceux qui l’entourent mais mettra du temps à comprendre que cette pratique si naturelle chez elle relève d’un vrai talent et peut devenir le but qu’elle recherche tant. Les photographies présentées à l’écran sont celles de Céline Larmet. Cette jeune photographe au parler direct, impose d’emblée le tutoiement pour raconter cette aventure, toute nouvelle pour elle.


Chronic’art : Depuis quand travailles-tu dans la photo ?

Céline Larmet : Je suis graphiste de métier mais en plus de ça, je fais de la photo. Donc là, c’est la première fois que je pratique au niveau professionnel, que je gagne ma vie en faisant de la photo. Mais j’en fais depuis des années.

Jacques Maillot te connaissait-il avant de faire le film ?

Non, quelqu’un que je connais à la maison de production Magouric avait un de mes books de Polaroïds. Il l’a montré à Maillot qui a ensuite demandé à me rencontrer. Je suis allée le voir, je lui ai présenté d’autres travaux, et voilà.

Jacques Maillot a dit que le personnage de Cécile est celui dont il se sent le plus proche. Quel est ton rapport à cette jeune photographe ?

Quand j’ai lu le scénario, je me suis vue dedans. Je me sentais très proche du personnage, exacerbée, un peu à fleur de peau. Je le ressens moins maintenant qu’un corps a pris le personnage. Tu ne te reflètes plus de la même façon quand il y a un visage sur le personnage, qu’il n’est plus simplement un mot dans un scénar. Mais ça ne m’empêche pas de m’identifier à Cécile par rapport à certaines quêtes, sans être aussi extrême qu’elle… C’est un peu moi, quoi.

Quelle relation as-tu eue avec Cécile Richard, l’actrice qui joue la photographe ?

Au début, je pense qu’on avait un peu la trouille toutes les deux. Moi dans mes rapports, je suis un peu « rentre dedans ». Sur un plateau, il y a une frontière qui s’établit très vite entre les acteurs et les techniciens. Et même si ça s’est très bien passé entre nous, on n’attend pas la même chose. On se regarde tout le temps : la déco fait son truc, puis les acteurs.
Cécile faisait aussi des photos pendant le tournage. Au début, elle les faisait en même temps que moi et les acteurs avaient tendance à regarder son objectif plutôt que le mien. Le souci a été de faire comprendre à Cécile qu’il ne fallait pas qu’on soit en même temps en train de shooter, que les acteurs devaient me regarder puisqu’à ce moment-là c’était moi qui était le personnage de Cécile. Pendant le film, son appareil n’était pas chargé tout le temps, mais dans la scène du camion, par exemple, elle a pris un super portrait du Russe.

Comment se sont passées les prises de vue ?

Il n’y a pas eu que des bons moments quand je prenais des photos, du fait que je dérangeais les acteurs : j’intervenais au moment où il ne le fallait pas forcément. Après, comme le résultat était bien et qu’ils en étaient satisfaits, ils ont compris et ils me laissaient de plus en plus entrer dans leur vie. Il y avait trois ans d’amitié à faire transparaître dans les photos de Cécile par rapport à ses potes. Je les emmerdais jusque dans les toilettes : des trucs tout bêtes pour avoir des photos d’amitié hors du film, comme si elles avaient été prises des années avant. J’étais un peu chiante, quoi. En plus Maillot voulait que je le sois. Mais il n’y avait pas toujours une disponibilité de la part des acteurs. Je pensais qu’un acteur, si tu lui demandes de pleurer, il se met en condition et il chiale… Ben pas du tout, ça pleure pas comme je pensais que ça allait pleurer, comme l’image que je m’étais faite dans la tête. J’avais travaillé sur la photo que je voyais d’une certaine manière et le résultat a été très différent.

Dans ta pratique de la photo, as-tu tout le temps, comme Cécile, l’appareil à portée de main ?

Pas du tout. Je n’ai jamais travaillé comme ça. C’était une commande, pour un film, avec la lumière du film. J’espère que si je fais un autre travail avec d’autres gens et une autre lumière, il y aura toujours une écriture, parce que c’est moi qui regarde, mais j’espère que ce ne sera pas la même chose. Là, il y a beaucoup de flous parce que ça vient des conditions un peu spéciales du tournage : si quelqu’un court, que moi je cours derrière et qu’il y a peu de lumière, tout est flou ! Sauf que si je cours plus vite que lui, à un moment je suis au 15e de seconde, je peux saisir un œil net mais c’est du pur bol. Il y a très peu de lumière dans le film alors je leur disais : « Stop, ne bougez plus ! » et je shootais. L’écriture est liée à l’ambiance du film. Ce qui était dur aussi, c’est que pendant le tournage, mon job était de faire plein d’images pour l’expo de Cécile, alors que je ne pouvais shooter que ce que moi je vivais et qui, en plus, appartenait au passé du personnage.

Qu’est-ce que ça fait de voir ses photos sur grand écran ?

Ah, ça fait hyper impressionnant ! Déjà rien que pour l’expo, moi je n’avais j’avais vu un tirage d’un mètre quatre-vingts. Je trouve que ça fait super beau, ça se détache vachement de soi. Je pars du principe que quand on prend des photos, soit on regarde un événement et parfois on ne shoote pas et on regrette, soit on est dans le cadre et on voit et on ne vit que par le cadre et on chope des choses. C’était ça pendant le film. Maintenant, avec le recul, je me suis étonnée, je ne voyais pas forcément, au moment où je shootais, l’intérêt ou la puissance de l’image qu’il pouvait y avoir après, surtout quand tu les associes entre elles. C’est pire sur l’écran, ça paraît super grand, ça rend bien.

Quand tu vois tes photos dans l’exposition de Cécile, ça ne te donne pas des envies ?

Elles sont déjà en expo. Cécile est un personnage du film, moi je suis la réalité qui a fait un travail. Je suis fière de ces images mais je ne vais pas me battre en disant : « Regardez, je suis forte », ce n’est pas dans ma nature, c’est pas mon style.

Qui a réalisé les compositions des assemblages présentés dans l’exposition ?

On était trois : Maillot, Luc Pagès -le directeur de la photo- et moi… Trois jours…

… pour monter l’exposition ?

Non, seulement pour choisir les photos ! Il y a cent une pellicules ; il fallait une certaine échelle pour la caméra, il fallait que tous les personnages soient représentés, et en plus il fallait se faire plaisir.

La scène du vernissage me semble très importante : c’est la dernière fois où tout le monde se retrouve. J’ai l’impression que les photos de Cécile révèlent les personnages. Qu’en penses-tu ?

Je crois que les photos ont servi le film et que les images de Cécile -c’est ce qu’il y avait dans le scénar- réunissent les gens à un moment, alors qu’ils passent leur temps à être ensemble et à se croiser. Et ces images, qu’elle a prises et qu’elle montre, dévoilent les relations entre les gens et les affinités. Mais comme c’est Cécile qui est sensée faire les photos, il faut aussi que ça lui ressemble.

Tu as vécu tout le tournage, sauf l’épisode au Maroc qui ne se justifiait pas par rapport aux photos de Cécile.

Et pour des raisons de budget, car j’étais photographe de plateau, aussi.

Attends-tu quelque chose du film ? Penses-tu que ça va te faire décoller dans la photographie ?

Je n’ai pas besoin de décoller, moi ça va. Si mon travail plaît, tant mieux, si je peux retravailler dedans, tant mieux. Si ça ne plaît pas, ça ne m’empêchera pas de continuer à faire mon boulot. J’ai des boulots perso qui ont inspiré Jacques, et lui avait des souhaits d’images : les deux ensembles ont donné ce travail. Pour les photos de plateau, j’étais libre car j’avais le regard de Cécile à retranscrire, et comme je suis d’une nature à faire ce qu’elle veut, j’ai fait ce que je voulais : je n’étais pas à la place de la caméra systématiquement, sinon on s’emmerde. Mais être photographe de plateau, être à la place de la caméra avec aucune liberté, aucune confiance de la part des gens, ça n’est pas possible.

Quel est ton sentiment sur ce tournage ?

Je suis ravie. Je crois que c’est une des plus belles expériences, si ce n’est la plus belle, que j’ai vécues.

Prête à continuer ?

Oui, je serais ravie de recommencer ! Si je peux faire un travail photo où je suis bien et où je corresponds à une commande, c’est bien.

Propos recueillis par

Les photographies de Céline Larmet sont présentées au cinéma UGC Cité Ciné des Halles à Paris, et sur le site Photographie.com