Loin de s’être évaporé dans un ultime nuage de haschich, le démon du psychédélisme n’a eu de cesse d’ensorceler la musique amplifiée de ces trente dernières années, atteignant un nouveau seuil dans les années 2000, au plus près du cosmos. Les colifichets hippies sont rangés au placard, mais la libération de la conscience par l’intermédiaire du son ne fait que commencer. Prêt à atteindre un nouveau palier ?Les années 1980 post-punk voient s’étioler pour de bon les derniers chatoiements des communautés hippies. D’ultimes signaux de fumée phosphorescents proviennent encore de quelques tipis paumés en rase campagne, mais le culte psyché se prolonge désormais dans le bruit lancinant des usines et les délires sonores surréalistes de quelques franc-tireurs ingurgitant des psychotropes à tour de bras. Influencés par les avant-gardes psyché les plus radicales, des groupes comme Chrome, Throbbing Gristle et Nurse With Wound composent d’inquiétants bad trip electro-acoustiques, nourris par un esprit dadaïste aussi facétieux que pervers. A la veille des années 1990, les Butthole Surfers, Loop ou Monster Magnet redéfinissent le heavy-metal seventies avec un esprit acid-punk haut perché, tandis que les Spacemen 3 cisèlent un drone-rock éthéré et hypnotique hérité du Velvet. Figure de proue du trio, Sonic Boom / Spectrum continue inlassablement de sillonner la voie lactée en solo dans une navette spatiale tapissée de synthés analogiques siglés E.A.R.

Une transe abyssale

Dans la foulée de Black Dice et Animal Collective, le milieu des années 2000 voit débouler une nouvelle constellation d’illuminés à mesure que les micro-labels fleurissent de part d’autre de l’Atlantique. Génies du drone interstellaire, Astral Social Club, Sunroof ! et Birchville Cat Motel (récemment rebaptisé Our Love WIll Destroy The World) déploient de long crescendos extatiques, harmoniques ténues qui s’élèvent jusqu’au firmament pour mieux se laisser ensevelir sous des poussières d’étoiles. Dans une veine purement électronique, Expo 70, Arp et Gavin Russom revisitent les oscillations kraut hypnotiques façon Tangerine Dream pendant que les envapés new-yorkais de Psychic Ills et Religious Knives explorent les gouffres de la transe urbaine derrière des rhytmiques tribales, des bourdons d’orgue et des guitares lancinantes.

Dans la famille heavy-rock pachydermique et freeform freakout, des groupes comme Sunburned, Comets On Fire, Awesome Color, Magic Lantern, Major Stars ou The Goslings lâchent la bride dans des jam-sessions sauvages gorgées d’acide et de feedback noise. Le duo The Skaters invente un folklore extraterrestre, musique tropicale no-fi d’une civilisation préhistorique, voix fantomatiques et percussions primitives noyées dans un brouillard noise opaque. Le collectif allemand Datashock, le grec Family Battle Snake ou la française Om Stellar Source procèdent de la même mise en condition hallucinatoire, s’immergeant dans un environnement sonore total. Field Recordings, incantations mystiques, électronique low-fi et drones caverneux, rien de tel pour entrer dans une transe abyssale..

Musique pour les Plantes des Dieux

Il n’en faudrait pas plus pour donner envie de s’exiler dans les fjörds finlandais où les imprononçables Kemialliset Ystävät et Shogun Konitoki s’étourdissent au grand air dans la tourbe folk lysergique et l’humus electronique reichien. En France, l’artiste sonore Vincent Epplay s’associe au plasticien Arnaud Maguet et à Fred Bigot (aka Electronicat) pour accoucher d’un disque OVNI, ferment psychotropique intitulé Musique pour les Plantes des Dieux, dont le génial Pierre la Police a signé la pochette. Deux vinyles à mixer ensemble pour une expérience optimale. Le poète et chamane Ghedalia Tazartes a quant à lui trouvé des alliés de choix (El-G et Jo Lang) pour son groupe Reines d’Angleterre, summum de la transe folk bringuebalante. Au Japon, les Boredoms et Acid Mothers Temple, hameçonnés par un psychédélisme absolu, poursuivent conjointement leur quête du Graal cosmique, tandis que le pape du noise Merzbow collabore avec Richard Pinhas, cerveau du mythique groupe français Heldon. Quand la centrifugeuse harsh noise rencontre le prog synthétique… Cette récente ébullition psyché semble avoir trouvé en Julian Cope – ex-Teardrop Explodes, icône post-punk et spécialiste du krautrock le plus occulte – un parrain de choix. Son site Headheritage (www.headheritage.co.uk), riche en archives et en chroniques, est devenue la Bible des acidheads modernes.

Les portes de la perception

Dans un registre dancefloor hédoniste, des Dj / producteurs comme Pilooski, Beyond the Wizards Sleeve (pseudo du fameux Dj anglais Erol Alkan), Andy Votel ou le duo new yorkais Rub’n’Tug font grimper la température des clubs en livrant des edits de vieux morceaux space-rock oubliés, garnis d’un groove cosmique complètement azimuté. Côté electro rétrofuturiste, le label DC Recordings est en passe de devenir une référence avec des groupes comme Emperor Machine, Padded Cell ou The Oscillation, hypno-dub et prog-funk motorik de rigueur. En parallèle, les artistes du merveilleux label Ghost Box décontextualisent l’easy listening et la library music des années 1970 comme autant de films pour l’oreille. Comptez sur tous ces alliés pour franchir les portes de la perception.

Lire aussi, Le fond et l’informe, IΔO : Mondo Vertigo et Les Fenêtres du culte