Dans la prestigieuse lignée des Chevaliers de la Constellation de la lobotomie heureuse, on demande le fils. C’est Francis Huster, l’enfant terrible du théâtre français, qui s’y colle. Rejoindre fièrement les œuvres mythologiques de Jean-Michel Gibard, Patrick Sébastien, Jean-Marc Barr ou Richard Bohringer (C’est beau une ville la nuit) était quasiment mission impossible. Le monstre sacré du Cours Florent y parvient pourtant les doigts dans le nez. Il faut dire que dès le début, le projet touche au guignolisme absolu : un remake d’Umberto D, chef-d’œuvre néoréaliste, avec ce qu’il reste de notre Bebel national. Ça commence très fort : Bebel vient de se faire maraver par des casseurs dans une manif post-canicule de 2003. Alors qu’il vivotait dans une chambre de bonne, le vieil homme très digne se retrouve à la rue – pour une raison laissée en plan par le scénario -, errant avec son petit chien dans Paris en se heurtant au cynisme et à la cruauté de ses contemporains. Urgence de dénoncer. Des salons bourgeois aux rues infestées de racailles, la fable crépusculaire aux relents UMP tendance Pièces jaunes double son terrifiant constat (nous vivons dans une société malade qui ne sait plus respecter ses vieux) d’une morale-choc : hors les regards pleins d’amour de Médor, point de Salut ici-bas.

Il y a du Benjamin Button entamé du bulbe dans cette rencontre impossible entre un cinéaste régressant au dernier stade de l’infantilisme wanabe grand classique (pas un plan filmé sans sonate ou composition repoussant les limites du pompiérisme, pas une scène qui ne soit montée au panaris) et d’un acteur titubant et momifié, jouant apparemment sa vie pour passer péniblement d’un plan à l’autre. Mais c’est dans le détail-qui-tue que cette farce d’apocalypse se révèle la plus énorme : Bebel, incapable de dire ses dialogues sans souffrir le martyr (le temps de latence que provoque son incapacité à lâcher ses répliques touche au fantastique), est censé jouer une sorte d’Oncle Bernard très digne dont la principale caractéristique est de lâcher des bons mots pleins d’esprit. En guise d’affable Gepetto, le film impose son ambiance de cauchemar total, trouvant dans une autre idée phénoménale (confier chaque rôle secondaire à une star du showbiz, à un membre de la famille Huster ou à un vieux mythe de l’ORTF) l’occasion d’un bad trip dégénéré sorti de chez Castel. Dans cette ronde toute moisie de caméos qui fait songer à une version prostatique d’Astérix 3 (Bruno Lochet face caméra hurlant 10 minutes ses tendances zoophiles, José Garcia apparaissant le temps de conter une blague éculée dans un bus), rien à sauver. Plus morbide, tu meurs.