Benoît Rault, qui sort Drifting, est un ovni assumé de la scène pop française : chant et production à l’anglaise, ambition et complexité revendiquée, quand le tout-venant indé français racole en rock festif. Parcours.

Chronic’art : On va revenir un peu sur ta carrière. Quand as-tu commencé à faire de la musique ?

Benoit Rault : J’ai commencé à l’âge de 8 ans, en faisant de la flûte traversière au conservatoire, jusqu’à l’âge de 15 ans. J’ai commencé la guitare en découvrant des gros mecs bien poilus qui jouaient de la gratte : Rory Gallagher, des gens comme ça… Donc j’en ai eu marre de la flûte traversière, je jouais de la guitare et mon frère de la basse, et jusqu’à l’âge de 20 ans, j’ai écouté des trucs bien pourris, à part Prince et Neil Young que j’écoutais déjà quand j’étais gamin. Jusqu’à ce que je rencontre Christophe Estié, qui m’a fait découvrir le rock indé, Pavement, etc. Le déclic. Mais je n’ai pas été attiré par le rock indé avant 20 ans… On a donc monté Bel Air avec Christophe, j’en suis parti, puis j’ai commencé à faire des maquettes sur mon 4 pistes, qui ont intéressé le label anglais Microbe, Warner Chappell et le management de Radiohead et Supergrass ! Donc c’était la fête. J’ai fait mon premier disque dans des conditions très roots, avec deux micros (un SM 58 et un Rode NT1) dans une petite pièce, et je l’ai mixé en Angleterre. C’était un premier album où je ne maîtrisais rien, que j’ai du mal à réécouter… Je suis beaucoup plus heureux du nouvel album chez Microbe, où on a soigné l’enregistrement, les arrangements, la production, le mixage.

C’est un disque qui se démarque pas mal en terme de production de la scène française actuelle. Comment définirais-tu « ton son » ?

J’imagine que la plupart des groupes qui sont signés sur une major vont dans un studio et qu’on leur colle un producteur du type Nigel Godrich, ce qui ne m’a jamais trop fait fantasmer. Tout est très compressé, et beaucoup de disques pourraient sonner beaucoup mieux. On s’est appliqué à faire de bonnes prises de sons sur chaque instrument, à faire de bonnes équalisations dès la prise de son, de façon à ce que l’équalisation soit la plus naturelle possible, et peu modifiée au mixage. La plupart des gens enregistrent « tout droit » et s’arrangent ensuite au mix. Moi, si je veux un son particulier, je le prépare à la base de l’enregistrement et je n’ai pas besoin de le modifier ensuite. Par ailleurs, on a fait pas mal d’expériences amusantes en termes de production : en jouant dans un grand parking qui nous a permis de faire des réverb’s. On a enregistré avec Fabrice Laureau deux batteries à Push (le studio de Prohibited Record), et le reste dans notre studio de St-Cloud ou en Normandie, ou simplement à la maison. Un exercice très solitaire. J’ai fait quatre jour avec mon bassiste et mon batteur en Normandie et puis quelques prises à St-Cloud, mais sinon, je faisais tout seul. Je termine pratiquement les chansons tout seul, avant d’enregistrer les batteries et les basses… Mais j’aimerais bien à l’avenir enregistrer live. C’a n’a pas été possible ici pour des raisons financières…
Il y a pas mal d’invités sur ton album, j’ai l’impression que c’est un disque de rencontres aussi ?

Oui, des gens comme fabio Viscogliosi, Morning Star, sont extrêmement sympathiques, très bon musiciens, ont un réel talent. Je trouve que tous les disques Microbe sont bons, que c’est un bon label (rires). Par ailleurs, c’est un des labels indépendants qui s’en sort le mieux aujourd’hui. Sans doute parce qu’ils sont partis au départ avec peu de moyens, et donc qu’ils n’ont pas trop fait les fous. Ils mettent leur argent là où il faut : en développant leur propre studio par exemple. Ce que devraient faire tous les labels indépendants…

Ce qu’avaient fait les Disques Mange-tout, avant de couler : ils avaient acheté deux Adat pour leurs artistes…

Oui, l’album de Flop (pas sorti, en prévision chez French Touche), a été enregistré comme ça. C’est un beau disque, avec des structures compliquées, un peu brésiliennes, des textes incroyables, marrants. Je trouve ça toujours un peu trop minimaliste, il pourrait aller beaucoup plus loin dans les rythmiques, les arrangements, mais c’est un beau disque. Et sur scène, il est excellent, par rapport à la scène française habituelle, il est drôle et détendu..

Toi, tu te positionnes sur un mode plus ambitieux, avec beaucoup d’arrangements. C’est par goût des harmonies, c’est ta culture ?

Oui, même si j’aime les beaux disques épurés, comme celui de Fabio Viscogliosi par exemple. J’aime bien rajouter des couches, sans nécessairement faire beaucoup de pistes… Il y a des chansons avec 8 pistes seulement. Mais j’aime les morceaux bien ficelés, un peu complexes, qui proposent différentes directions. Le disque est assez éclectique d’ailleurs. Une chanson, c’est un tout, si possible harmonieux entre les paroles, la mélodie et les arrangements, même si j’attache beaucoup d’importance au son, aux arrangements, à la production, effectivement. Ensuite, je ne suis pas anglais, donc les textes ne relèvent pas du vécu, mais sont plutôt nourries d’imaginaire, des histoires inventées…

Les titres instrumentaux sont des morceaux de respiration dans le disque ?

Oui, et puis ils correspondent aussi à des moments de lassitude, de perte de confiance, quand j’ai l’impression de na pas bien faire, devant mon PC chez moi. Dans ces moments là, je me lance dans des instrumentaux, un instrument après l’autre, plus par jeu musical que par désir de produire un nouveau titre. Et au final, certains de ces morceaux se retrouvent sur le disque. Sur 20 titres au départ, on en a sélectionné 13, dont plusieurs instrumentaux en effet.

Il y a un son très 60’s, un peu à la Joe Meek, dans certains titres, où s’allient éléments organiques et électroniques.

Je connais un peu les Tornado’s, mais de Joe Meek, je connais surtout les pédales de compression qui portent son nom. Sinon, je n’écoute plus trop de musique 60’s. Mais j’ai beaucoup écouté Lee Hazlewood ou les Beach Boys par exemple. J’écoute plein de trucs sans être fan de quoi que ce soit en particulier. Pour cet album, je voulais surtout faire de belles chansons, à la manière de Cohen ou de Hazlewood : des chansons pas forcément évidentes, bien ficelées, bien enregistrées. Old lady est assez compliquée par exemple, avec plein d’accords, alors qu’elle a l’air relativement simple de prime abord. Je crois que j’aimerais bien faire un disque plus moderne un de ces jours, une tentative sonore moins référencée, pas forcément électronique, mais plus ambitieuse. Je réfléchis à ça en ce moment : essayer de faire quelque chose de nouveau…

Propos recueillis par

Lire notre chronique de Drifting