Entre vraies belles surprises au palmarès et altercation avec un auteur, compte-rendu, par la Chro team BD, du 34e Festival international de bande dessinée d’Angoulême, qui s’est déroulé du 25 au 28 janvier 2007.

2007 année de tous les dangers pour le Festival : c’est ce qui était annoncé, et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’on n’a pas été déçu. Toute la Chronic’art team était sur le pont, mais du côté du Festival. Le mélange des genres, c’est pas bien, on le sait. Mais bon, on n’est pas les seuls, Joseph des Inrocks s’y est mis également. Et puis quand Julien, notre spécialiste manga, organise le plus bel espace jamais vu à Angoulême consacré à ce phénomène, entre animation pointue (conférence sur les Yokaï, dont on verra qu’elle aura été plus que pertinente) et projo grand public (il fallait voir ce couple de petits vieux, made in Charente, assis tranquillement et ouvrant de grands yeux sur l’écran qui diffusait la version anime de Nana) ; quand Martin-Pierre, notre gonzo chroniqueur, rétorque à un Lewis Trondheim mal luné (« Il est tôt, ne me posez pas des questions intelligentes, je risquerai de donner des réponses bêtes »), « Ne vous inquiétez pas, j’ai préparé des questions intelligentes seulement pour Massimo Mattioli » ; quand Stéphane émerveille à la fois Fabrice Neaud (une gageure) et Alison Bechdel, l’auteur de l’excellent Fun home (livre de l’année pour Times Magazine), en indiquant que cette dernière à créer une figure du père virtuelle qui réunit sa représentation graphique et le texte associé, on se dit que le mélange des genres, parfois, on peut lui dire merde.

La tension toutefois était bien palpable. Avec la nouvelle disposition du Festival, entre foire à la dédicace (12 000 m2 de surface) exigée par les éditeurs mais exilée au diable vauvert, et l’activité proprement culturelle (expositions, rencontres, espace jeunesse), maintenue dans le centre-ville, on avait l’impression un peu affligeante que sa réussite tiendrait à trois bus, deux flocons de neige et au bon vouloir des services municipaux. L’ami Benoît, DA du Festival, s’était déjà plaint de ne pouvoir se concentrer suffisamment sur la programmation artistique du Festival, regrettant de passer « quinze plombes à savoir où on mettrait les toilettes provisoires ». Il faut croire que l’organisation d’un festival à échelle inhumaine dans une petite ville de province est aussi une grande école de l’humilité. Parce que bon, ce Festival, c’était tout de même une cuvée intéressante. Certaines expositions très bien conçues (celles du génial Jim Woodring au CNBDI et de… Midam, on ne rit pas, à l’espace jeunesse), des concerts de dessin qui commencent à prendre sérieusement forme, un concert Blutch (un autre génie) / Brigitte Fontaine plus que prometteur (on a croisé une dame Fontaine en grande forme, mangeant des spaghettis avec entrain chez Paul, le seul resto de la ville ouvert jusqu’à pas d’heure) et des Rencontres Internationales qui ont parfois tutoyé les étoiles (la rencontre Neaud-Bechdel, qui s’est muée en véritable dialogue passionnée entre les deux auteurs), on était tout de même dans l’éminemment respectable.

Et puis le palmarès. Ah, le palmarès… Objet d’une remise des Prix traditionnellement interminables qui prenait des allures de Soulier de satin, l’intelligence en moins, il a cette fois été intelligemment réduit à sa plus simple expression. Avec à la baguette Thierry Bellefroid, le PPDA belge de la RTBF, il a donc inauguré le nouveau système des prix. Rappel : au sein d’une présélection de 50 titres, le jury judicieusement hétéroclite composé par le Président Trondheim – lire notre entretien – (Yvan Alagbé, du commando graphique du Frémok vs. Christophe Arleston, scénariste du tout de même pas terrible Lanfeust de Troy) devait choisir six titres : cinq essentiels du Festival, parmi lesquels on trouvait le Meilleur Album de l’année et la Révélation de l’année, ainsi qu’un Prix du Patrimoine, survivant du système précédent.
And the winner is… NonNonBâ de Mizuki ! Une énorme mais merveilleuse surprise (avec Ice haven de Dan Clowes, il s’agit pour la rédaction de Chronic’art de la meilleure oeuvre de l’année -revoir notre top 2006) ! Il paraît même que certains – information à vérifier – auraient vu Jean-Louis, l’intransigeant patron des éditions Cornélius, arborer un large sourire. Avec un Prix du Patrimoine décerné au magnifique Sergent Laterreur de Touïs et Frydman, la fête était belle, mais j’imagine que Benoît Mouchart devra plus que jamais se justifier auprès d’éditeurs incrédules, se demandant pourquoi donc on ne récompense jamais les titres si appréciés du public tels que Niklos Koda ou Les Profs. Eternelle incompréhension et dialogue de sourds entre deux conceptions à jamais irréductibles de la bande dessinée.

Last but not least, il ne faut jamais désespérer : le Grand Prix 2007 est décerné à José Muñoz, un vieux serpent de mer (pas l’auteur, le prix). Avec Mattotti et Baru, son nom revenait sans jamais sortir du vieux chapeau des anciens Grand Prix. Ce maître du noir et blanc, auteur du mythique Alack Sinner avec son complice Carlos Sampayo, a fait beaucoup pour la bande dessinée, et à travers lui, c’est aussi l’école argentine engagée (remember Breccia et Oesterheld) qui est récompensée.

Tout ça fait beaucoup de bonnes nouvelles, mais il me reste beaucoup d’amertume à l’issue de cette édition. La faute à une violente altercation qui m’a opposé (le mot est mal choisi, car l’altercation fut en l’occurrence unilatérale) à Manu Larcenet. Nos lecteurs qui auraient peu apprécié ma chronique du dernier volume du Combat ordinaire seront heureux d’apprendre que ledit Larcenet, en me voyant lui acheter Critixman, chaudement recommandé par Julien, a précisément vu rouge au point de vouloir m’écraser le poing sur le visage. Au milieu des familles attendant sagement leur dédicace et devant Vincent Bernière et Stéphane, incrédules, il a fallu une brève intervention extérieure pour que l’affaire en reste là. J’ai déjà eu l’occasion de relire plusieurs fois ce texte que j’ai écrit, et je n’arrive toujours pas à comprendre ce qui a pu susciter une telle réaction (d’autant plus que je ne suis pas le seul à penser que Larcenet aurait dû s’en tenir à son excellent premier volume). Me venaient en mémoire les conseils de Lester Bangs-Philip Seymour Hoffman à son jeune émule dans le Presque célèbre de Cameron Crowe : « Les pop-stars ne seront jamais tes amis. Elles te le feront croire, mais toi tu dois rester honnête et sans pitié ». J’ai bien compris la leçon. Je n’en veux même pas à Larcenet, quoique j’ai touché deux mots de l’affaire au très compétent Thomas Ragon, éditeur chez Dargaud. Ou plutôt si, je lui en veux tout de même. Car je ne pourrai plus jamais prendre le même plaisir à lire ou relire Presque, son chef-d’oeuvre méconnu. On en veut toujours à ceux qui brisent vos illusions. Heureusement, le dîner qui a suivi avec Vincent, dont le premier roman, fruit de son expérience de junkie, paraîtra en mars chez Panama, était un grand moment d’apaisement et de détachement. Et la présence à nos côtés, pleine d’intelligence et de tranquille assurance, de Nicolas de Crécy m’a poussé à ne pas désespérer totalement de ceux qui créent. Vivement l’année prochaine.

Lire notre entretien avec Lewis Trondheim.
Voir le site officiel du festival