Compte-rendu de la 31 édition du Festival internationale de la bande dessinée d’Angoulême, par notre envoyé spécial.

Après la brillante édition de l’année précédente qui, sous l’égide des Présidents Schuiten et Peeters, avait couronné pêle-mêle Chris Ware, Jirô Taniguchi, Art Spiegelman, Neil Gaiman, Katsuhiro Otomo, Munoz et Sampayo, Reiser et autres Frémok, il fallait bien revenir à une réalité plus prosaïque, avec la catastrophe annoncée de la présidence de Régis Loisel. Ce dernier, quintessence de l’étroitesse d’esprit qui touche un gros contingent de la bande dessinée française contemporaine (l’Académie des Grands Prix, qui a récompensé l’étonnement sympathique Zep, forme une galerie de vieux cons à la papa que Lautner, présent à Angoulême, aurait idéalement mise en scène), a de fait effectué quelques sortie à la bêtise abyssale dont il a le secret, en particulier à propos du palmarès de l’année écoulée : « Larcenet, connais pas », « Les Japonais de XXth century boys, c’est pas populaire », « Ces bandes dessinées où les auteurs racontent leurs histoires de cul ou de tous les jours sont sans intérêt ». Rappelons à l’ami Régis que Manu Larcenet est le représentant le moins médiatique et le plus intéressant de la bande dessinée française (plus que Sfar ou Blain, oui oui), qu’Urasawa, qui n’est pas un pseudonyme pour désigner un collectif caché (à moins que le pluriel employé par Loisel ne relève tout simplement d’un racisme anti-japonais à la hauteur du couple Besson-Pirès), est, au Japon, un vendeur comparable à Uderzo et Zep réunis en Europe, et enfin que Blonde platine, l’album d’Adrian Tomine qui était probablement dans le viseur de sa dernière remarque, est tout simplement le meilleur titre de l’année. A ces quelques exceptions près toutefois, force est d’avouer que le pire a été évité. Quelques expositions de valeur (Dave Mc Kean), des Rencontres Internationales haut de gamme (Chris Ware, Seth, Joost Swarte, Lorenzo Mattotti, une surprenante Marjane Satrapi, Chris Claremont…), un partenariat avec le fantasque Groland qui s’est révélé un pari risqué mais plutôt réussi ont assuré à cette 31e édition un niveau honorable.

Pour le reste, la progressive transformation du Festival d’Angoulême est en marche. Le Ministère de la Culture, trop heureux de s’alléger du fardeau que constitue le Centre National de la Bande Dessinée et de l’Image (CNBDI), coûteux et déficitaire vaisseau naviguant à vue, a décidé de procéder à une fusion compliquée entre ces deux entités trop longtemps en guerre. J-M Thévenet, le sémillant et controversé directeur général du Festival, flanqué de son nouveau délégué artistique Benoît Mouchart, jeune loup prometteur et non moins controversé, a d’ailleurs entrepris d’étendre l’influence du Festival au-delà des traditionnels quatre jours de janvier, ce qu’on saurait difficilement lui reprocher. Première expérience, la sage exposition Blake et Mortimer à Paris ! mais le binôme annonce une multiplication de ce type de manifestations et notamment la préparation, avec le brillant Igort (éditeur et auteur italien), pour les trois prochaines années, d’une exposition universelle des avant-garde qui devrait voyager dans de grandes capitales mondiales de la bande dessinée (Barcelone, Naples…). Cette manifestation, plus que trentenaire désormais, apparaît vouée à pratiquer un grand écart représentatif du statut de la bande dessinée aujourd’hui. Entre le phénomène de société, incarné par la Titeufmania annoncée de l’édition 2005, la tendance semi-people -outre les facétieux tendance scato de Groland, on aura noté entre autres la présence d’Eddy Mitchell (rires), de Laurent Boyer (rires redoublés) ainsi qu’une rencontre inattendue entre Mc Kean et Alain Bashung- et la programmation pointue et arty (voir le passionnant dialogue au cours des Rencontres Internationales entre ce même Mc Kean et Thierry Van Hasselt, le génial auteur de Gloria Lopez), le passage est étroit et la pente est non moins raide. Il a sans doute manqué à ce Festival le grain de folie insufflé l’année dernière par les Requins Marteaux, avec leur bluffante exposition Ferraille et les concerts déjantés de Monsieur Pabô au Magic Mirror. A la question qui leur était posée au cours de leur Rencontre Internationale au sommet avec le pénible Sfar sur ce qu’ils retiendraient de cette 31e édition en général et de cette rencontre en particulier, Cizo et Winschluss, les créateurs tranquillement subversifs de Monsieur Ferraille répondirent : « Un voyage offert par le Festival en 1er classe du TGV ». La dérision est encore la meilleure marque d’un médium en pleine mutation.