Adolescent à problèmes, Chérif (Zinedine Benchenine) se fait virer de son école et trouve refuge chez sa tante à Strasbourg. Entre bagarres et premiers émois amoureux, il entame un CAP maçonnerie. La nuit, Chérif fait le mur et s’initie au monde du graff en compagnie de son cousin. Vêtus de sweats à capuche noirs, ils enfourchent un scooter et partent écumer la ville en quête de surface vierge où apposer leur signature, contemplant sur les toits de la ville le travail de ce mystérieux super-héros du graff  : Vandal.


Vandal est la dernière production d’un cinéma revendiquant de se faire en dehors des sentiers battus, voué à secouer les habitudes en donnant à voir une image de la jeunesse telle qu’en elle-même, avec sa culture, son langage, ses signes de ralliement. Bref, sur le papier : un naturalisme revisité par la culture jeune et le brassage généreux des références : hip-hop, street art, cinéma américain. Une film vibrant de toute la matière contemporaine qu’il arrive à ingurgiter, une sorte de précipité de contemporanéité à l’usage des vieux à la ramasse.


Le film fait, en cela, beaucoup penser à Belle Epine, dont il est une sorte de pendant masculin. Mais le film de Zlotowski était nettement plus réussi dans sa façon de concilier mythologie et naturalisme à fleur de peau : le drame intime prenait toujours le pas sur les références et les « idées de cinéma », pourtant nombreuses. C’est de ce trop-plein, de cette tyrannie de l’idée de cinéma que souffre Vandal, qui est une recette plus qu’un film, comme Bourdieu pouvait dire de la jeunesse qu’elle n’est qu’un mot. Vandal est la recette de ce que doit être un film français de jeune auteur : un film en rébellion tout en étant ce qu’il y a de plus académique, un film qui s’agite mais à l’intérieur d’un terrain cinématographique bien circonscrit.


On a déjà vu cette scène : la virée en scooter dans la nuit sur des nappes de musique électro comme seule échappatoire au naturalisme grisâtre. La binarité formelle suit ainsi le cycle des jours : naturalisme froid en journée, culture jeune et petit vent de libération la nuit. Vandal va et vient de l’un à l’autre, comme on jouerai avec un interrupteur. En dehors de ce duo, point de salut. Le film accumule en cela tous les signes extérieurs du portrait auteurisant de la jeunesse tourmentée :  lyrisme sombre, mythologie urbaine, culte de la bande, moiteur naturaliste, dialogues tout en marmonnement parfois interrompus par l’irruption de la violence, parler jeune, parents au bout du rouleau, héros taiseux.

Hypnotisé par son propre flou artistique, Vandal se déleste au passage de tout ce qui pourrait lui donner un peu de poids : c’est comme ça que Cisterne oublie de faire de ses personnages autre chose que des rouages pour faire fonctionner ses idées de cinéma. Il suffit de voir le sous-emploi de tous les rôles secondaires (Ramzy, Marina Foïs, Jean-Marc Barr, Brigitte Sy, rien que ça), qui ne sont jamais que des fantômes de personnages, comme éreintés par excès d’usage. Le jeune héros lui-même est écartelé entre le cliché sociologique et le cliché mythologique, n’existant que par un certain décor, une certaine ligne de dialogue déjà bien usée.


Chérif est ballotté d’une scène à l’autre, voyageant tout le long d’une série de lieux communs : dîner familial où retentit une vieille chanson que tout le monde se met à fredonner, dispute avec le père qui finit en plaquage contre un casier, bagarre avec les autres élèves, scène d’érotisme pudique entre deux adolescents où l’on découvre le soutien-gorge fonctionnel de la jeune fille qui finit par se rhabiller précipitamment . L’étonnante brièveté des scènes témoigne ainsi du fait qu’elles sont à ce point éculées qu’il suffit de pas grand-chose pour les convoquer, qu’elles sont de tels poncifs que c’est la mémoire du spectateur qui est invitée à poursuivre le trait, terminer la phrase. C’est d’ailleurs la grande prouesse de Vandal : faire plus fort que Bourdieu lui-même, en prouvant que la jeunesse peut se réduire à un demi-mot.