Adolf Eichmann nettoie méticuleusement ses lunettes, puis les pose. Après quelques secondes, il les reprend et les repose un peu plus loin. Pendant tout le procès, ses mouvements seront ainsi, strictement réglés. Cet homme est le « spécialiste » des petits gestes du quotidien, comme il a été celui de l’acheminement de millions de juifs vers la solution finale. Le film documentaire réalisé par Eyal Sivan pose, bien sûr, la question de la responsabilité du fonctionnaire d’un régime monstrueux, mais aussi celle de chacun dans la société moderne. Cette problématique, chère au réalisateur, est au cœur de l’ouvrage, co-écrit avec Rony Brauman, qui accompagne la sortie du film : Eloge de la désobéissance.

Ayant travaillé à plusieurs reprises sur l’instrumentalisation politique de la mémoire et le sort des populations palestiniennes déplacées, c’est lors de recherches pour un autre film qu’Eyal Sivan a pris connaissance de l’existence d’un fond d’archives vidéo du procès du criminel nazi Adolf Eichmann, qui a eu lieu à Jérusalem en 1961. Il décide alors de réaliser un film à partir de ces images, mais en les retraitant grâce aux dernières technologies numériques afin de leur donner un aspect actuel et de restituer la dimension de spectacle du procès qui eut lieu en public, dans une salle aménagée en tribunal.
Après cette décision, l’aventure va durer 4 ans, avec comme première étape l’adaptation, par Rony Brauman, du manuscrit de Hannah Arendt, Eichmann à Jérusalem, dont les lignes de force orientent la sélection des rushes dans l’océan de matière première dont disposent les auteurs (350 heures d’images enregistrées). Ensuite, est venu le temps d’un long travail sur l’image pour parvenir à gommer la mauvaise qualité vidéo, à éclairer chaque séquence et à créer des mouvements de caméras pour atteindre un véritable langage cinématographique. A plusieurs moments du film, Eyal Sivan exacerbe sa mise en scène : l’image apparaît comme issue d’une vieille pellicule cinéma ou d’une vidéo surveillance, tel un indice de la manipulation. Le résultat est saisissant, et montre à quel point il est possible, pour peu que le réalisateur conserve un profond respect du public, de revisiter le passé avec un œil neuf.