Il y a au moins deux choses déplaisantes dans Un Pont entre deux rives, le film co-réalisé par Gérard Depardieu et Frédéric Auburtin. D’abord, l’inscription de l’histoire dans le contexte du début des années 60 le qualifie d’emblée comme une production « Qualité Française » de plus, dans laquelle les décors-musée et les costumes-naphtaline empêchent trop souvent les acteurs d’incarner leur personnage, les transformant en figures de cire. Les robes à fleurs de Carole Bouquet, ses virées à vélo -qu’on dirait reprises de Lucie Aubrac-, le cinéma de quartier minutieusement reconstitué, la culture sixties réduite à un tube yéyé et à trois classiques de cinéma, dont le choix pour deux d’entre eux –Jules et Jim, West side story– surligne lourdement les traits psychologiques des personnages du film. Tout ce bagage culturel fait certes très appliqué et très professionnel, mais on ressent comme un malaise à se trouver soudain dans les coulisses du septième art, à se demander s’il manque un coup de fer au costume de Gérard, ou un dernier brushing à Carole pour faire davantage femme du peuple. Premier déplaisir donc : la reconstitution empaillée.

On nommera le second « syndrome de Cendrillon ». Il sévit ici un peu comme dans le césarisée La Vie rêvée des anges d’Eric Zonca. Le film raconte, en effet, comment une femme d’origine modeste -Carole Bouquet- quitte son mari -Gérard Depardieu- pour rejoindre un autre homme, un jeune et riche ingénieur interprété par Charles Berling. Rien ne nous est épargné des clichés de la fable sociale : les nouveaux amants se retrouvent, après une première rencontre au cinéma, alors qu’elle sert à table dans un dîner bourgeois où il est invité. Puis l’aventure continue : le jeune homme saura embourgeoiser sa belle qui l’encanaillera en retour. Le restaurant chic où elle n’allait jamais, la plage où ils se baignent nus sous la lune conseillère, la maison à Houlgatte où ils vivront heureux : la succession des vignettes finit par agacer comme une leçon sociologique vaine et maladroite.

Tout cela est d’autant plus dommage qu’Un Pont entre deux rives révèle une justesse de ton et un parti pris de sobriété dans la mise en scène qui le démarque parfois de la catégorie de films auxquels on pourrait le comparer, cette fameuse « Q.F » sans âme, stigmatisée plus haut. Il y a un acteur dans le film qu’on a pas vu aussi bon depuis longtemps, depuis qu’il est devenu en France et ailleurs ce qu’on appelle une star, c’est-à-dire quelqu’un qui brille sans effort : Gérard Depardieu. Il retrouve ici la fragilité de certains personnages de Pialat, colosse fragile, monstre-enfant, prêt à faillir à tout moment. L’acteur offre son corps, son visage, sa voix au personnage de Georges avec une grâce très émouvante et une modestie au service de sa composition. Jacques Rivette a écrit que les films de fiction sont aussi des documentaires sur les acteurs qui y jouent. Un Pont entre deux rives est un beau documentaire sur Gérard Depardieu.