Quelque chose commence à clocher dans le cinéma de Philippe Garrel. Après la relative déception qu’était déjà La Frontière de l’aube, ce dernier film, totalement dévitalisé, expose cruellement les nouvelles impasses d’une œuvre suprêmement cohérente, une œuvre qui a su installer en quarante cinq ans un rythme qui n’appartient qu’à elle, une tonalité reconnaissable entre toutes. Cette baisse de régime, le récent et sublime Les Amants réguliers (2005) ne l’annonçait pourtant pas. Représentation ambitieuse et maîtrisée du quotidien de la jeunesse parisienne de et après mai 68, ce film-monstre témoignait, à l’inverse, d’une pleine santé. Surtout, le film marquait une étape décisive dans la carrière de Garrel : le début d’une collaboration « adulte » avec son fils Louis, promis à devenir le héros tragique des opus suivants.

En même temps qu’Honoré, mais dans un tout autre élan, Philippe Garrel sembla donc identifier Louis, en ce milieu des années 2000, comme le corps et le visage le plus à même d’incarner les passions tristes du jeune adulte urbain. Association père-fils qui, bien qu’en droite ligne de la tradition affective de l’oeuvre (son père, Maurice Garrel, mais aussi ses compagnes, de Nico à Brigitte Sy, ont chacun leur tour traversé ses plans), peut aussi apparaître rétrospectivement comme une vampirisation progressive – inconsciente ? – de la carrière naissante du fils. Se fait maintenant jour – pour le meilleur comme le pire – une forme d’ultra-garrellisation du jeu de Garrel junior, dont leurs films communs deviendraient les étranges documents.

Un Eté brûlant s’offre aujourd’hui comme le produit ingrat de cette vampirisation, le jeu de Louis Garrel devenant franchement lourd, systématique, tandis que la fameuse langueur garrelienne frise plus d’une fois la caricature (mots avalés, épuisement surjoué, tics nerveux de junky après sevrage…). Surtout, Garrel père ne parvient pas cette fois à transcender la platitude d’une histoire de passion ne brûlant que sur le papier. Le film dessine grosso modo l’histoire d’une mort annoncée, celle de Frédéric, jeune peintre français exposé dès les premières minutes dans sa voiture, le visage endolori, fonçant littéralement droit dans le mur. Avant l’impact, une image mentale, celle d’Angèle (Monica Bellucci) nue sur un lit, aura suffit à expliciter les motivations du jeune homme. Suit une voix off, celle du meilleur ami de Frédéric, nous ramenant quelques mois en arrière, introduisant le récit de cet amour à mort dont sa compagne et lui furent les spectateurs privilégiés.

Ce film chétif, accessoirement en couleur (le premier depuis Le Vent de la nuit – en 1999), souffre de ne savoir tenir la distance de l’atmosphère de latence et de confusion des dimensions, entre onirisme et réel, que ce cinéma sait d’ordinaire si bien instaurer. S’il ne fait aucun doute que ce couple glamour, installé à Rome, a vécu une vraie passion, expliquant à elle seule le geste inaugural (et donc terminal) de Frédéric, rien à l’image ne permet d’identifier les vestiges de cette histoire. Entre disputes de salon et crises de larmes en chambre, Garrel et Bellucci jouent leurs partitions respectives, mais ne se rencontrent pas. Frédéric devine qu’Angèle la trompe, n’apprécie pas de la voir danser langoureusement avec d’autres hommes, accepte, veut qu’elle reste, etc. Toutes les étapes d’une rupture amoureuse sont là, plus que lisibles. Mais à aucun moment il n’est permis de déceler la portée universelle de cette rupture, ni rien qui excède ce que le dialogue énonce trop bien.

Tout du long, persiste aussi le sentiment que cette fois, le cinéaste ne sait que faire de son acteur. Ou, plus exactement, qu’après lui avoir fait incarner une sorte de post-ado idéal, la perspective de lui confier des emplois d’homme installé, marqué par une histoire, le dépasse. Monica Bellucci existe certes un peu plus, parvient ça et là à nourrir quelques scènes de son aura « méditerranéenne ». Qu’un homme puisse souffrir de ne plus posséder cette femme à la fois iconique et terrienne n’a en soi rien d’irréaliste. Reste que peu d’éléments aident à saisir vraiment le cheminement intérieur de Frédéric, son passage du soupçon à la dépression, de la dépression au crash volontaire. Là où le geste fatal du photographe de La Frontière de l’aube était la résultante – plus ou moins – évidente d’une hantise (apparitions au miroir de la femme perdue) combinée à une inaptitude toute garrelienne à aller de l’avant, celui du peintre d’Un Eté brûlant, préambule donnant le ton du film, désamorce d’office toute hypothèse. L’essentiel étant montré en trois plans, il n’y a logiquement plus grand chose à voir.