Le Vent de la nuit est le vingt-quatrième film de Philippe Garrel, et c’est indéniablement un de ses meilleurs tant il apparaît maîtrisé et serein, à la fois simple dans sa forme et complexe dans le propos qu’il envisage de couvrir. Il s’agit ni plus ni moins, comme dans beaucoup de grand films classiques, de parler de la fêlure, c’est-à-dire de filmer cette brèche de la fiction dans laquelle la réalité s’engouffre, et de mettre-en-scène des personnages border-line, fatigués de la vie, ou s’ouvrant maladroitement à celle-ci.

Paul (Xavier Beauvois, également co-scénariste du film) a une liaison avec Hélène (Catherine Deneuve, magnifique) qui est nettement plus âgée que lui. Elle souffre beaucoup du relatif détachement dont il fait preuve à son égard ; sa vie ne tient plus qu’au fil de leur relation. A la faveur d’un assistanat en Italie, il rencontre Serge (Daniel Duval qui n’en finit plus de ressusciter depuis Y’aura-t’il de la neige à Noël), architecte suicidaire qui n’attend plus rien, sinon mourir. Entre différents voyages en Italie et en Allemagne dans une Porsche rouge, et plusieurs tentatives de suicide avortées, Paul se révélera être l’ultime passeur qui permettra à Hélène et à Serge de se rencontrer, et de finalement trouver ce qu’ils cherchaient. Alors comme Garrel ne cesse de parler de cinéma, à l’image de Paul, il se fait aussi passeur. Avec deux comédiens principaux qui sont aussi des réalisateurs, entre Duval, celui qui ne réalise plus, et Beauvois, le jeune espoir du cinéma français, la passerelle est jetée ; Garrel fait le lien (sans parler des autres comédiens masculins, Jacques Lassalle et Stuart Seide, deux metteurs en scène de théâtre…). Donc, Garrel, comme à son habitude, filme de près ses personnages, et cette fois-ci en cinémascope. Mais à la différence d’un Gaspar Noé qui dans Seul contre tous utilise le format cinémascope pour montrer l’isolement de son boucher au sein d’un monde duquel il se sent exclu (vision paranoïaque et esthétisante), Garrel s’en sert pour cadrer ensemble des personnages que tout sépare, et qui donc, n’ont pas leur place dans un format classique : de la différence entre l’effet et le style, entre l’image pour l’image et la bonne distance de la caméra.

Car Garrel filme de plus en plus juste. Il est aujourd’hui le seul réalisateur français à savoir capter l’écoulement du temps, à faire sienne et prisonnière l’agitation des heures. Mais ce n’est pas tout, il est aussi le seul qui ose rendre à la pellicule son ancien statut de corps physique à travailler, comme un des derniers qui place le je(u) au centre de la mise en scène (ses collègues préférant généralement fantasmer le nous des spectateurs). Chez Garrel, le film de cinématographe n’est plus un objet distancié de son auteur, mais sa réelle incarnation nitratée d’argent, imprimée vingt quatre fois par seconde de ses émotions, comme un carnet intime volé de ses sensations et de ses doutes.