Pour aborder le dernier film de Jean-Claude Biette, il faut savoir abandonner ses réflexes cartésiens. Refuser les « pourquoi » qui effleurent notre esprit et accepter une part irréductible d’inexpliqué. Son cinéma n’est, en effet, jamais un parcours balisé mais, au contraire, un jeu de pistes dans lequel le spectateur se perd allègrement. Claire (Jeanne Balibar) et Arthur (Mathieu Amalric) se sont aimés, cela n’a pas marché, le hasard les fait se rencontrer à nouveau et ils décident de s’accorder une nouvelle chance. Leurs retrouvailles se feront au gré d’un voyage au Portugal où Arthur doit rencontrer un professeur d’histoire, éminent spécialiste du sujet auquel il consacre sa thèse. A ce premier parcours se greffe celui de Frank Opportun (Thomas Badek), homme mystérieux et aux activités obscures, qu’Arthur et Claire vont sans cesse rencontrer sur leur chemin. L’entrevue avec le professeur est constamment retardée, et Arthur, obsédé par cette rencontre, passe à côté d’une autre : celle avec une femme, Claire, prête à l’aimer à nouveau.

Etudiant attardé, Arthur est une figure de l’immobilisme, aveuglé par sa quête du savoir. A l’inverse, Claire tend naturellement vers le bonheur, la vie. L’impossibilité de leur couple est manifeste lors d’une des plus belles scènes du film. Durant une balade, Arthur n’hésite pas à laisser Claire pour rechercher une inscription historique gravée sur un pont. Seule dans le cadre, paniquée, Claire se sent abandonnée. Arthur finira par réapparaître, totalement inconscient de l’individualisme de son comportement, de l’égoïsme de ses actes.

Cependant, Trois ponts sur la rivière ne se réduit pas uniquement à l’histoire d’un amour raté. Tout le film est empreint d’une fantaisie, d’un sentiment de gratuité extrêmement réjouissants. Les personnages qui gravitent autour du couple ont tous un comportement cocasse, excentrique : ainsi Arthur et Claire se retrouvent dans une pension tenue par une mystérieuse république d’étudiants, dont certains sont membres d’une secte.
Secte qui n’est pas sans rapport avec les activités de Frank Opportun. Mais nous n’en saurons pas plus, toute une partie du film restera inexplorée, cachée, à l’image de la rencontre d’Arthur avec le professeur. Le mentor dans lequel il plaçait tant d’espoirs ne parle plus depuis des années ; Arthur n’accédera jamais à son savoir. C’est dans cet aspect intangible que le film se révèle extrêmement séduisant ; il ne faut surtout pas hésiter à se laisser mener par le bout du nez par ce cinéaste à part.