Le braquage fébrile qui ouvre Triple 9 tient lieu d’avertissement : John Hillcoat n’est pas près de renoncer aux rêves d’Americana qui guidaient La Route, Des Hommes sans loi et même, déjà, ses premières oeuvres australiennes (il présente lui-même les excellents Ghosts… of the Civil Dead et The Proposition comme des films yankee dans l’esprit). Ce braquage, sorte de parodie sérieuse du prologue de Heat, vaut aussi comme contrat : absolument tout, ici, ne sera que citations et collages empruntés à l’histoire du « néo-noir ». Postulant que son public se trouve en terrain archi-connu, Hillcoat s’autorise à semer la confusion, multipliant les portraits express de flicards plus ou moins ripoux et de mafieux russes à l’accent roucoulant (la foison d’escogriffes virils rappelle celle des Hommes sans loi : d’un galurin à l’autre, on s’y perdait déjà). En quelques minutes, il aboutit ainsi à une sorte de « soupe » (c’est son terme) mijotant sur le brasier urbain d’Atlanta, où le police department abrite les principaux auteurs du fameux hold-up commandité par la pègre russo-israélienne.

Qui refuse de passer le contrat proposé par le film se condamne à errer dans un pénible tunnel de clichés mal dégrossis : lorgnant sur le Lumet du Prince de New-York comme sur le Friedkin de Police fédérale Los Angeles, Hillcoat fait feu de tout bois et va jusqu’à convoquer le vieux thème de la disparition de la Frontière pour ajouter un peu d’enjeu à la grande tambouille. Sans se douter de l’implication de ses confrères, l’inspecteur chargé de l’affaire (Woody Harrelson) assure ainsi les arrières de son neveu Casey Affleck, flic également : il s’agit de l’une des rares recrues intègres du département – autrement dit, du dernier cowboy en ville une fois que son ainé aura raccroché. C’est autour de cette idée que les deux loups façonnent leurs personnages, tout en mastication de Wrigley, en culs de joints au bord des lèvres et, tant qu’on y est, en cravate aux couleurs du stars and stripes pour Harrelson. Bien sûr, c’est moins une nostalgie sincère pour le vieil Ouest qui s’exprime là, qu’un hommage gentiment lourdingue aux fossoyeurs du western dont se réclame Hillcoat depuis ses débuts (Peckinpah en tête).

Un tel brassage a fatalement de quoi exaspérer, à moins d’accepter le deal de Triple 9 et d’envisager son fatras de références comme un généreux coffre à jouets, dans lequel piocher le pire (quelques acteurs médiocres, pour qui le tribute sert d’excuse à un jeu caricatural) et le meilleur – Woody Harrelson, devenu un poncif hillbilly à roulettes depuis No Country For Old Men, a trouvé l’endroit rêvé pour sublimer son savoureux cabotinage en santiags. Mais c’est surtout un imprévu de pré-production qui rend excitante, par endroits, cette petite visite au musée du cop movie cradingue : alors que l’histoire originelle se situait à Los Angeles, Triple 9 fut délocalisé en cours de route à Atlanta, ville en pleine explosion culturelle (sa jeune scène rap, presque un personnage du film) et criminelle (les guerres de gangs, endiguées ou apaisées depuis quelques décennies à New-York et L.A., y font rage aujourd’hui). Cet exil sudiste offre un terrain de jeu flambant neuf à Hillcoat qui, aiguillé par la police locale, s’en donne à coeur-joie dans la veine documentaire, brossant le portrait d’un territoire bourgeonnant et hirsute à qui Hollywood n’a pas encore attribué sa mythologie.

Surtout, c’est l’occasion pour lui de légitimer le dialogue noué un peu laborieusement avec le western crépusculaire : mieux connue encore récemment pour sa nature de ville-frontière, dominant une Géorgie considérée dans l’inconscient américain comme pays de Cocagne préservé à la fois de la couronne et de la sauvagerie de l’Ouest, Atlanta se révèle brutalement comme la zone transitoire où se croisent les chimères les plus variées de l’Amérique et de son history of violence. Tournées sur le vif, les errances dans les quartiers houleux ou dans les clubs de hip-hop ardents le prouvent bien : les archétypes du hardboiled (feds réactionnaires, gangstas belliqueux, putes malveillantes), aujourd’hui si érodés qu’on les supporte difficilement ailleurs que dans GTA, semblent s’être refait une santé de fer à Atlanta, où le passage de l’anarchie d’hier (le vieil Ouest) à celle d’aujourd’hui (la ville) paraît toujours d’actualité. C’est peu de choses, mais à force d’évoluer dans une telle arène, les cowboys essoufflés de Triple 9 finissent par devenir un peu plus que des fantômes balourds échappés d’un Hollywood révolu. 

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