Drôle de cas que John Hillcoat, capable du meilleur (The Proposition) comme du pire (La Route, relecture caca-doigt de Cormac McCarthy). Il faudrait parler histoire du cinéma avec lui pour mieux saisir son approche, sa façon d’attaquer l’énorme fantasme d’Amérique qui habite ces deux films, mais aussi ses Hommes sans loi. Australien, poussiéreux et tourné comme dans le crâne d’un petit enfant fan de Peckinpah, The Proposition n’avait a priori rien pour lui. Mais il déployait avec une telle fureur la sanguinolente légende aussie qu’on se laissait électriser par ce festival de massacre sous le soleil de l’Outback. Plus de détours océaniques ici, Hillcoat s’installe pour de bon dans l’Amérique de la prohibition et adapte avec son rocker de scénariste attitré (Nick Cave) le roman de Matt Bondurant, à la fois polar en Stetson et chronique familiale. C’est pourtant moins, à l’évidence, cette fratrie de distillateurs pirates qui intéresse Hillcoat, que la lignée des nouveaux petits maîtres américains du western – en priorité, ceux qui ont à peu près réussi à déterrer proprement le genre tout en restant ludiques et légers, Sam Raimi en tête. Beaucoup moins crapoteux et rustique que The Proposition, Des Hommes sans loi se fait donc light et modeste, lorgnant davantage vers l’énergie pétaradante de la série B que vers la gravité ultra-violente de l’ère crépusculaire. Mais la reprise du flambeau reste délicate.

A trop se comparer aux vrais durs, Hillcoat et Cave tombent dans un écueil classique, celui de la gourmandise de jeune chien fou, de la boulimie fulgurante : canevas trop policé, références trop appuyées, fond sonore country trop évident, tout est trop dans le film. A commencer par son écriture, sérieusement bancale, qui combine plusieurs catalogues de motifs : celui du roman d’initiation, de la mythologie western et du film noir. Sans compter l’indigestion de péripéties et de noms propres (les gueules de renards roublards se suivent et se ressemblent, on s’y perd). Cette tendance à tartiner le script de couches superflues trahit non seulement les désirs un peu trop capricieux de Cave l’écrivain (palpables dans ses autres scénarios), mais font surtout passer Hillcoat pour un amateur juvénile, proche finalement de son héros Shia LaBeouf, intermédiaire mou entre un grand frère fort comme un boeuf (Tom Hardy) et un cadet blafard (Dan Dehaan, le nerd surpuissant de Chronicle). Etre à la hauteur face aux brutes, voilà son enjeu, et c’est aussi celui de Hillcoat face à ses modèles. Mais ne sachant pas trop se situer par rapport à eux, le cousin australien se noie entre deux eaux, donnant à la fois dans le sérieux romantique d’un Eastwood (LaBeouf, pathétique, cultive en même temps une certaine classe chevaleresque), et dans une profusion festive à la Raimi, voire à la Corman – ses personnages ressemblent à d’étranges mannequins programmés pour s’écharper (une séquence de gunfight saugrenue, notamment, tire vers le bis baveux). C’est même presque réjouissant, cette bâtardise des tonalités, ce fatras générique, comme si le tandem était à deux doigts d’inventer une variété de western, peuplé de fantoches aux drôles d’airs – les acteurs sont parfaits, de ce côté-là, dommage que Hillcoat les laisse en totale roue libre, comme dans cette scène de rapprochement entre Hardy le taureau et Chastain la rousse laiteuse : il y aurait là un pic d’érotisme, si quelque chose ne manquait pas à l’appel, un quelque chose dans l’air que le film refuse de voir et dont l’absence l’empêche de dépasser le stade du petit western baroque et sympathiquement raté.