Pour un excès de zèle guerrier, Thor, demi-dieu un peu kakou, est banni du royaume galactique d’Asgard par son père Odin. Il atterrit donc en plein désert du Nouveau Mexique, plus précisément sur le pare-brise de la jeep d’une jolie scientifique (Nathalie Portman). Son super marteau suit, pas ses supers pouvoirs. Enième adaptation Marvel au bout d’une décennie chargée, Thor arrive au bout d’un filon. Cette position historique inconfortable impose donc au film l’obligation d’un renouveau. Que montrer, que dire, avec qui surtout ? Alors qu’on pouvait imaginer un jeune espoir faire table rase du passé, au pire une valeur sûre du moment (Gore Verbinski par exemple) pondre un produit joliment calibré, Marvel a préféré sortir Kenneth Branagh du formol. Pari dont l’incongruité fait l’audace, mais qui s’avère en réalité suicidaire : quelle chance un réalisateur aussi bouilli que cette comète théâtreuse des nineties avait-il de réinventer le film de super héros des années 2010 ? Pas plus que Thor, Ken médiéval débarqué au cœur du XXIe siècle de ne pas évoquer Jean Réno dans Les Visiteurs.

A part rejouer à peu près correctement les enjeux fétiches de Jean-Marie Poiré (sur ce plan, le film est à la fois trivial et plutôt charmant) Branagh doit relever un autre défi, plus crucial : construire le royaume d’Asgard et ses divers satellites, constellations numériques mâtinées d’heroic fantasy qui s’imposent comme la marque officielle du film – l’intrigue s’y déroule aussi souvent, voire davantage que sur Terre. Soit un désert de roches lunaires sombres, des ciels tourmentés, un palais aux couleurs pétantes dans lequel évolue un Anthony Hopkins harnaché comme un roi d’opérette, une coque en plastique vissée sur le crâne. Plus que sa désolante laideur, c’est la pauvreté même de l’image qui pique les yeux, cette impuissance presque assumée à recourir au baroque le plus kitsch et aux pires clichés shakespeariens, unique option en stock dans la palette créatrice du réalisateur lorsqu’il s’agit de se confronter au genre.

Au moins Branagh ne fait même pas semblant de le moderniser. Sa foi envers le tout numérique (couleurs saturées, liquéfaction des matières) n’est pas sans rappeler le bide du dernier Tron, autre objet naïf où comme ici, l’obsession du high tech était vite rattrapée par la vision archi ringarde du futur qu’elle servait. A la différence que Thor paraît lui, parfaitement conscient de ses limites de blockbuster primaire : le simple choix de Chris Hemsworth, trogne et carcasse de catcheur dans le rôle-titre (et plutôt convaincant), la bonne humeur de l’ensemble, tout cela suggère que Branagh, cinéaste inutile mais beau joueur, ne se prend pas une seconde au sérieux. Vu ses années de vaches maigres et son passif d’ambassadeur branché de la culture officielle, cette tendance à la légèreté et à la dérision n’était pas gagnée d’avance.