Retour aux affaires pour Michael Winterbottom, roi des cinéastes charognards avec un sujet qui fera pâlir de jalousie les anti-américains de salon. Dévoiler les exactions de Guantanamo, quand même, il fallait oser, qui plus est à travers le témoignage de trois innocents injustement pris pour des pontes d’Al Quaida par l’armée américaine. Car le truc de Michael, c’est de capter le réel pour intensifier la charge idéologique. Il est fou dans sa tête Michael, il balance, il montre tout : des bombardements sanguinolents en Afghanistan, les tuniques oranges des prisonniers américains, les rues grouillantes et si typiques du Pakistan, les voyages en bus couverts de poussière… Et même les trognes des trois témoins, cadrées au plus proche de la barbe islamique qui annoncent les péripéties dénonciatrices à venir.

Que Winterbottom fasse son Costa-Gavras, passe encore. Le film assumerait ainsi son statut de porte-voix citoyen avec la naïveté et l’énergie qui vont avec. Sauf que The Road to Guantanamo est bien plus ambigu que jouissivement racoleur et qu’il pollue par son formalisme chichiteux et sa vanité de sous-bobo voyageur le contenu des témoignages. Tout laisse à penser que le film relève du documenteur : fausse candeur de chien fou, tremblotement du cadre, imagerie crasseuse complaisante à mort, il y a chez Winterbottom une persistance à nier la notion même de reconstitution. Tout ce que vous verrez, répète-t-il, est bien réel, pendant qu’il vendange le tout en intercalant les interviews des trois incarcérés, les vrais cette fois, rappel flagrant que le film n’est ni plus ni moins réduit au statut de reality show crapoteux qui ne s’assume pas.

Du coup, c’est l’histoire officieuse qu’on tend naturellement à remettre en question. Winterbottom semblant par complaisance ou coquetterie sociale définitivement rangé coté prisonnier, il épouse leur point de vue sans le nettoyer et laisse la défiance germer d’un bout à l’autre de l’image. Qui est assez naïf pour crapahuter tout sourire sur les montagnes Afghanes juste après le 11-Septembre quand on est pakistanais d’origine et que l’on pourrait rester bien au chaud dans sa banlieue londonienne ? Winterbottom, justement, et lui seul, décidant de transformer le récit de ces victimes en vision angélique de trois pieds nickelés déconnectés de toute réalité. Involontairement, on n’en doute pas une seconde. Reste que dans un tel contexte où les images officielles sont inexistantes, le procédé est atrocement douteux. Non que le soupçon atténue la force démonstrative de la barbarie américaine, relatée comme dans n’importe quel reportage de presse, mais il instrumentalise définitivement le sujet en objet clinquant et poseur qui exploite la misère du monde à des fins purement narcissiques. Quelle ambition peut-on alors attribuer à The Road to Guantanamo ? Enfoncer des portes ouvertes, valider une défiance occidentale envers le Moyen-Orient, et, surtout, combler de plaisir un public festivalier avide d’images chics et de charges politiquement correctes.