Résumons. Depuis qu’on a dit tout le bien que l’on pensait de la galaxie Apatow (cf. Chronic’art #39), En cloque, mode d’emploi a divisé public et critique (assassiné par Bayon dans Libé et estampillé néo-réac chez Technikart), on a vu le nouveau Farrelly (Les Femmes de ses rêves), le casting de Supergrave est passé chez Cauet et le film a dépassé les 120 millions de dollars de recettes aux Etats-Unis. Le Farrelly, on en reparlera au moment de la sortie, 1e 28 novembre 2007. Mais précisons déjà que le film a déçu, et que ce serait un vrai déchirement si notre appétit pour la comédie US d’aujourd’hui ne s’était déjà vu rassasié par le doublon Apatow. Supergrave n’est pas réalisé, mais seulement produit par Judd Apatow. Il n’en reste pas moins un pur produit maison, où éclate une fois de plus le talent laidback de la couvée – représenté par Seth Rogen, acteur et scénariste ici, révélé par Apatow dans la série Freaks & geeks, et tête d’affiche de En cloque. Qu’est-ce qui s’invente dans Supergrave, tout petit film, pour susciter ici pareil enthousiasme ? Pas grand chose et absolument tout. Et c’est probablement le principal mérite de cet objet adorablement humble, que de n’être qu’une high school comedy de plus, en même temps qu’une forme de synthèse du genre et son miroir inversé. Le script reprend, dans les grandes lignes, celui d’American Pie : une poignée de branleurs, 18 ans, toujours puceaux, parfaitement obsédés, concentrent toute leur énergie dans l’impérieuse nécessité de tirer leur crampe avant la remise des diplômes. Au commencement il y a donc un fabuleux trio de jeunes pousses, triple miroir du génie d’Apatow pour le casting : Michael Cera, bientôt à l’affiche du nouveau Harold Ramis, lui-même modèle d’Apatow ; Jonah Hill, avatar teenage de Rogen, et déjà scénariste d’une prochaine production Apatow, The Middle child ; Christopher Mintz-Plasse, alias « Mc Lovin », hilarante mascotte nerdy. A l’autre bout, gravée dans le marbre du teen movie, une fiesta alcoolisée en pavillon.

Mais l’essentiel se joue évidemment dans l’entre-deux, et pour passer de l’un à l’autre, il faut 1h52. 112 minutes, c’est long et c’est inhabituel. 112 minutes employées à prendre en charge, le plus sincèrement du monde, les clichés du film ado, et à recomposer patiemment son paysage. Moraliste (au moins autant qu’American Pie : ici aussi, l’amour sincère dépucelle mieux que la Budweiser) mais sans leçon de morale. A la mécanique édifiante, la méthode Apatow préfère la magie pure, fidèle à l’utopie un peu autiste développée dans 40 ans, toujours puceau : les binoclards et les grassouillets emballent les jolies meufs, et ça ne gratifie ni les premiers d’une promotion sociale, ni les secondes d’une leçon de tolérance. Chez Apatow, ils emballent juste comme ça, parce qu’ils sont trop chouettes. Et s’il est bien question d’apprentissage, comme dans tout le teen movie depuis John Hugues, c’est là aussi à la faveur de sorties de routes aussi incongrues que volontiers bouleversantes. A la moitié du film, Mc Lovin’ prend le large, pour une virée impromptue en compagnie d’un duo de flics bas du front joués par Seth Rogen et Bill Hader. Quelques tours de gags crétins pour la génération MySpace, puis la ligne se courbe, typique de la méthode Apatow, pour se replier dans une pause très belle où le relais s’organise entre les générations. Petits personnages, petits enjeux, mais ampleur et générosité du regard, une fois de plus.

« On veut du cul », braille l’affiche de Supergrave. En trouve-t-on, au bout du compte ? Pas plus qu’ordinairement chez Apatow : de 40 ans, toujours puceau à Supergrave, quoique l’on cherche, ce qu’on trouve, c’est d’abord un bon copain. Et si ça se finit bien sous la couette, point de fille dans le plumard, juste une jeune amitié virile qui se consolide, avant de se lever dans l’âge adulte. Eloge de l’amitié, rien de plus et rien de plus simple. Mais il y a la manière de le dire. Sous nos climats, on part le chercher autour d’une entrecôte dans les rires vieux d’une grappe de badernes hétéro-beaufs. C’est pourtant bien outre-Atlantique qu’il se tient dissimulé, nourri aux crackers et au poulet frit, le coeur des hommes.