Au 10 octobre, plus qu’un groupe éclaireur portant parfaitement son nom, Radiohead a signifié pour moi une dizaine de contacts MSN et Facebook ayant pour pseudo In rainbows, qui n’avaient absolument pas besoin de savoir quoi penser de ce dernier album – évidemment téléchargé pour ₤0.55 sur leur site. Et je les comprend quelque part, tant les happenings artistiques et commerciaux des précédents OK computer ou Kid A ont été largement apprivoisés par l’auditorat des Thom Yorke & Jonny Greenwood, jusqu’à n’en avoir plus rien à foutre. Je dois même avouer faire parti des pseudonymes sus cités qui n’ont entendu leur démarche que d’une oreille distraite (pardon). Et, parti de ce peu de recul, j’ai trouvé un peu triste qu’un groupe qui souhaitait inviter ses auditeurs à engager une réflexion sur le prix de la musique, ait finalement réduit le temps d’analyse avant achat de ces mêmes consommateurs à un simple clic de souris.

Alors j’ai essayé un peu de comprendre pourquoi un groupe d’une telle stature, qui n’a jamais dissocié art et commerce, a souhaité adopter une démarche plus masochiste encore que le DIY ou la diffusion gratuite, en invitant (par accident ? nonchalance ? suicide ?) l’auditeur à ne leur accorder qu’une attention toute superficielle. Là où beaucoup de gens espèrent voir fleurir de ce pied-de-nez à l’industrie musicale entière – majors comme critics – un nouveau business model, fondé sur la relation pure et simple entre un groupe et son public, j’y vois plus volontiers un retrait volontaire des circuits de distribution traditionnels, d’un groupe qui s’attribue le titre d’experts en champs hypertextes, devançant les Hype Machine, Elbows et autres agrégateurs de blogs MP3 sur leur propre terrain, privant par là même l’entité Radiohead d’un aspect fondamental de son identité – la tête des charts – alors même qu’elle enregistre son album le plus évident depuis OK computer. Paradoxe.

Ceci dit, je le trouve vraiment joli ce titre, In rainbows, tant il incarne bien cette réfraction opérée lors du passage d’un milieu à un autre, ce concours des lignes de fuite que ne cesse de dessiner Radiohead, cette échappée et retour aux couleurs élémentaires. D’ailleurs, c’en est presque symbolique si le quintet quitte aussi rapidement l’electro torturée sur disque – seul ce 15 step placé en ouverture, pour rappeler les déviances oniriques d’Amnesiac. A l’extrême opposé, Bodysnatchers me fait davantage penser à un Sonic Youth ascendant Titanium exposé, pour les entrelacs mélodiques et la dynamique punk de ses guitares, sur lesquelles le groupe calque les ondes Martenot produites sur Kid A. Peu après, une boîte à rythme dont ils auraient inversé la bande, la chaleur d’une jazz bass, et quelques choeurs pour soutenir la ballade la plus émue depuis Karma police (Nude). Il y a aussi ces nombreux arpèges en rupture de rythme toutes les quatre mesures (Weird fishes/Arpeggi, Faust arp, Jigsaw falling Into place), le martèlement obsessionnel d’un piano (Videotape), et surtout cette seconde personne à laquelle Thom Yorke s’adresse pour la première fois depuis OK computer ( » I don’t wanna be your friend / I just wanna be your lover « , House of cards). In rainbows donc, pour le spectre de couleurs ample et lumineux, tendre et accort, après plusieurs années de pluie.

Peut-être faut-il comprendre ainsi le paradoxe d’In rainbows : c’est en cessant d’être fondamental, en renonçant à sa volonté de recherche constante, que le groupe offre au monde ses sonorités les plus attachantes. Au monde alors de les rendre à nouveau essentielles.