Le véritable film anniversaire du cataclysme qui a touché l’Amérique le 11 septembre 2001 n’est pas le pâté d’Oliver Stone, mais bien ce Shortbus plus strictement new-yorkais qu’américain, réalisé par John Cameron Mitchell, dont on aimait nettement moins son précédent film, Hedwig and the Angry Inch, et qui fut par ailleurs le producteur de Tarnation. Le Shortbus en question est une sorte de boîte underground où une série de personnages (gays en peine de couple, lesbiennes décomplexées, voyeurs solitaires, dominatrice frustrée, jeune femme n’ayant jamais connu l’orgasme avec son ami, etc.) viennent trouver un peu de réconfort dans une joyeuse ambiance partouzarde, libertaire et intellectuelle. Le film suit une série de couples et d’électrons solitaires dont le parcours finira par converger dans cet antre de l’utopie sexuelle et sentimentale jusqu’à son finale de big band teinté de mélancolie. Un univers où les fantômes de Jack Smith (Flaming creatures) et des corps enlacés de Nan Goldin (mais sans les coups ni le Sida) rôdent à chaque instant, même si le film toutefois n’atteint pas la grandeur stylistique des deux artistes.

Il y avait longtemps qu’on avait vu la sexualité aussi simplement filmée, sans détours ni apparats, sans volontarisme provocateur ni pudibonderie, mais au contraire avec le naturel d’une scène de cuisine. John Cameron Mitchell filme la baise comme un geste quotidien, dénué des habituels enjeux qui entourent généralement ce genre de scènes. S’il est loin d’être un grand filmeur ou un metteur en scène (mais il y a tellement de beaux plans infects dans le cinéma que pour une fois on s’en fiche), il a la franchise du regard de celui qui filme pour la première fois sans trop se poser de questions esthétiques. Ce qui anime John Cameron Mitchell, manifestement, c’est le plaisir d’autrui, la découverte et les expériences autour du jeu de rôles auxquels se sont livrés les heureux gagnants (près de 500 candidats recrutés par Internet ont participé au casting). Le film, avec ses allures de thérapie pacifiée, livre ses doutes, ses émois et ces corps avec une fraîcheur toute enfantine, en deçà ou au-delà de toute morale. On n’est parfois pas très loin de l’idéal pornographique des années 70, une pornographie qui s’est rêvée mainstream avant d’être reprise en main par les barons de la finance, la mafia et les puritains.

Evidemment ici, le sexe n’est qu’une partie, et certains se sont empressés de ne retenir que les morceaux de bravoure (mention spéciale tout, de même, à cette scène tout à la fois douce et hilarante où l’un des protagonistes chante l’hymne américain dans le cul de son partenaire). Ce qui est beau d’ailleurs, c’est que les problèmes de sexes sont des problèmes techniques et sentimentaux, jamais des soucis moraux. Si morale il y a, elle se niche dans les interrogations existentielles qui taraudent les personnages. On aurait tort en effet de n’y voir que le manifeste d’une sexualité libérée et jouisseuse, d’une simple et égoïste quête hédoniste qui ne serait finalement que le masque d’une idéologie petite bourgeoise (de ce point de vue on est loin du film des Larrieux, Peindre ou faire l’amour). Ce qui motive les personnages de John Cameron Mitchell, c’est moins leur propre plaisir que celui de l’autre. Et ce sens du partage, de la communauté, en matière de sexe comme en matière de coeurs, est ce qui donne au regard du réalisateur une dimension humaniste devenue rare. La communauté est désoeuvrée ? Donnons lui les moyens de renouer avec ce qui fonde toute société : moins le clan (fermé, endogène) que le groupe (ouvert, à géométrie variable). Allez hop, tous au Shortbus !