Il se passe des choses bien mystérieuses dans l’Ile Saint-Louis, à Paris. « C’est de ce quartier qui semblait ne devoir plus exister que par ses propres souvenirs qu’est sortie l’une des plus prodigieuses aventures de cette époque, et à tout prendre la plus sublime ! Sublime l’aventure de Bénédict Masson l’a été sûrement, car elle fut une Date (avec un grand D) dans l’histoire de l’humanité, mais en même temps que sublime, elle fut aussi épouvantable… et Paris, qui n’en a surtout connu que l’épouvante en tressaille encore ». Un homme décidément très laid, ce Bénédict Masson, mais au demeurant fort érudit, poète et relieur d’art de son état, qui tient sa boutique face à celle du vieux Norbert, l’horloger, lequel vit seul en reclus avec sa fille, la belle Christine. Bénédict est amoureux de Christine, mais un cœur ardent sous un masque de gargouille pourra-t-il jamais espérer être aimé en retour ? Hélas, par expérience, il sait bien que non. La haine des femmes l’anime autant que le désir d’en être adoré. Voilà pourquoi il observe la jeune fille avec une rage jalouse depuis sa fenêtre. Voilà comment il découvre que la mignonne cache un garçon dans l’armoire de sa chambre, son soit-disant cousin Gabriel, beau comme un ange, qu’elle sort chaque fois que son père et son fiancé ont le dos tourné. Et voilà comment il assiste à l’assassinat de l’ange Gabriel par l’horloger. Mais l’Adonis ressuscite mystérieusement… Par contre, que l’on surprenne à son tour le pauvre Bénédict en train de brûler le cadavre d’une femme, et tout de suite on l’accuse de meurtre.

Quel est le secret de la poupée sanglante ? Qui est vraiment Bénédict Masson ? Que viennent faire dans cette histoire déjà passablement embrouillée, le marquis de Coulteray et son épouse, qu’on soupçonne de folie parce qu’elle accuse son mari de vampirisme ? Un conseil, ne surtout pas compter sur l’auteur pour le savoir : « L’aventure de Bénédict Masson est sublime en ce qu’elle ne fait que commencer… », nous dit au contraire Gaston Leroux plus espiègle que jamais, en guise de fausse conclusion à son roman.

L’auteur de Rouletabille et du Fantôme de l’opéra n’est jamais meilleur que lorsqu’il lie, comme ici, le fantastique à l’intrigue policière. A ce titre, La Poupée sanglante est l’une de ses plus belles réussites, un roman d’épouvante-pour-faire-rire, y compris par la suite qu’il saura lui donner dans La Machine à assassiner (où l’on voit une sorte de robot animé par un cerveau humain).

C’est avec ce chef-d’oeuvre indémodable d’un Leroux tardif (paru en 1923, il meurt en 1927), mais qui n’avait rien perdu de son humour potache, que les éditions de l’Aube inaugurent leur toute nouvelle collection de classiques populaires. A ses cotés, un petit Dumas des familles (Les Frères corses), du gothique écossais Walter Scott (Le Nain noir), mais aussi et surtout la réédition d’un incroyable Paul Féval, La Fabrique de crimes, où comment celui que l’on surnomma en son temps le Prince des populaires s’auto parodie et se moque de cette veine florissante du roman-feuilleton qu’il avait lui-même initié avec Le Bossu.