Double usage à la sortie en DVD de Serial noceurs, double plaisir. D’abord l’occasion nous est donnée de réparer un oubli, un ratage plutôt, celui de la sortie de la comédie la plus drôle et la plus brillante de l’an 2005, énorme succès outre-Atlantique, bide chez nous, dont nous n’avions pas rendu compte ici. Ensuite, la poursuite d’un éloge de la comédie américaine du moment via l’un de ses fleurons, fût-il l’oeuvre de David Dobkin, réalisateur de l’impérissable Shanghai Kid 2. Avec Dodgeball, Hitch, ou 40 ans, toujours puceau, tous réalisés par des petites mains anonymes (laissons de côté le cas des princes Farrelly, qui de films en films construisent une véritable oeuvre, puissante et cohérente), Serial noceurs figure parmi ce qu’Hollywood a produit de mieux dans le champ de la comédie ces dernières années.

Au-delà du film lui-même, ce qu’il faut chanter, c’est l’éternelle capacité du cinéma populaire américain à produire de tels blocs de singularité. Même si ce qui plait, ici dans Serial noceurs, est avant l’éclat d’une série d’évidences, un enthousiasme de l’évidence, qu’illustre parfaitement la merveilleuse scène / clip des mariages : rappelons que les serial noceurs sont deux avocats trentenaires (John, Owen Wilson, & Jeremy, Vince Vaughn) qui s’incrustent dans les mariages pour profiter du dancefloor, du buffet et surtout des filles enclines à la fête. Cette séquence musicale, éruption champagne de plans où chaque raccord est une joie, une oeillade, un twist, éclate au début du film et propose son programme : vivacité de tous les instants, claquement pétillant des gestes, énergie débridée et enchaînements imparables des affects -la fête explose, les filles tombent. Le génie technique des imposteurs, qui de parfaits inconnus deviennent les conducteurs du mariage (font copains-copains avec les vieux tontons, portent les mariés en triomphe, découpent le gâteau, donnent le tempo), fait mouche, et la possible ringardise de la noce s’évapore en bulles de champagne. Serial noceurs est au moins cela, un traité de l’aisance et de l’évidence. D’ailleurs dans ces films aimés, tout se donne tel qu’il est ; pour reprendre une formule célèbre proposée par Rivette à propos d’un cinéaste auquel on pense ici, « ce qui est, est ».

Ce qui est, est, et cela vaut aussi pour le sentiment, à quoi carbure toutes ces comédies, avec ce génie qui leur appartient d’inciser le canevas du film d’un discours amoureux. Double discours amoureux, ici, entre Jeremy et Gloria, sa copine nymphomane (naissance de l’amour au bout de l’épuisement sexuel), entre John et Claire, la soeur de celle-ci (prude, en instance de mariage avec un horrible petit produit de l’upper class côte Est, sportif-WWF). Il n’y aurait de drôlerie, dans Serial noceurs, sans cette qualité d’émotion, qui est peut-être bête, mais à laquelle on s’abandonne avec le plus grand plaisir : évidence du coup de foudre, lorsque John aperçoit Claire, demoiselle d’honneur prise d’un fou rire à l’énoncé des voeux ridicules que s’échangent les mariés ; évidence ensuite du sentiment amoureux, qui se partage autour d’une blague très drôle dite par John et qui ne fait rire que Claire. Ou encore : le regard, salace et admiratif, ce « I love you » à peine sorti de ses lèvres, que jette Gloria à Jeremy lorsque les imposteurs sont démasqués. Il y a mille petits gestes éblouissants dans le film, il faudrait la patience et la place de les décrire tous -le DVD sert aussi à cela.

Et puis il y a Owen Wilson, bien sûr, admirable de bout en bout, dont on ne se lasse pas d’observer la singularité pure, ce visage flasque et difforme, cette bouche en cul de poule et ces yeux clos, ce nez tordu et cette démarche de pantin -il est absolument génial. La réussite de Serial noceurs, c’est aussi la perfection du rythme qui excuse quelques lourdeurs (le personnage du fils peintre, un peu pénible), subtilité du jeu des acteurs, clarté sans faille du scénario, surprise dans la conduite du récit qui avance, reprend (l’hilarante copie de l’ouverture du film, lorsque John déprimé squatte des mariages nazes), dérape (la parenthèse ahurissante chez Chazz, pionner de l’incruste) et retombe admirablement sur ses pieds. Et la beauté dernière du film, c’est l’esquisse d’une proposition de vivre ensemble, sous le parapluie de l’évidence sentimentale, Serial noceurs, temple dédié à la libre circulation d’affects où tout ce qui se ressent se dit sur le visage, la peau, dans l’éclat du rire ou le secret de la confidence, dans la complicité inédite que cimentent la blague, la drague, la danse ou la nuit, dans cette quête du lien le plus léger et le plus joyeux possible, cette quête de la joie et de l’insouciance qui est aussi la nôtre. Serial noceurs, David Dobkin, 2005 : petit film, grand film.