Separate lies ne paye pas de mine, discrètement inséré dans le ventre mou des productions britanniques, pas si loin même, du téléfilm d’honnête facture. Il y a matière à avoir peur, tant l’ensemble semble se diluer dans la manufacture polie, lesté par un casting deux étoile (ce n’est pas qu’on exècre l’acteur Tom Wilkinson, mais il ne nous fait pas non plus grimper aux rideaux) ou un sujet rabâché (l’adultère et la culpabilité chez les bourgeois, ça va bien, merci). Tout pétri d’a priori qu’on est, on attribue même à Julian Fellowes une motion de défiance, lui qui s’est révélé ces dernières années en signant l’un des scripts les plus ennuyeux et les plus surestimés de Robert Altman, Gosford park.

Seulement voila, sans nous contredire tout à fait, Separate Lies atteint une finesse et une maîtrise remarquables qui évanouissent sans mal nos craintes. Grâce à son récit d’abord, dont la conduite, parfaitement prise en sérieux, garantit au film une assise solide, permettant à Fellowes de couler son observation critique avec une étonnante élasticité. Ce plaisir de la comptine intensifie un canevas plutôt usé, celui du triangle amoureux : l’avocat quinqua débonnaire et sympa bien que cruellement asexué (Wilkinson), sa femme (Watson), plus jeune et aimante mais étouffée par le confort douillet de l’opulence, son amant (Everett), odieux voisin de leur maison de campagne mais infiniment plus désirable que le premier. Un meurtre sordide, un habitant vulgairement fauché par un gros 4×4, sert d’écrin au drame psychologique. Le polar a toujours une longueur d’avance sur le vaudeville, ce que Fellowes exploite autant comme climax poisseux que boite à rythme.

L’académisme des deux genres s’en trouve bouleversé, piqué et sans cesse retourné. Pour preuve, l’importance capitale des dialogues, mensonges, confidences ou reproches pour l’essentiels, qui tiennent lieu de morceaux de bravoure ou de retournements dignes d’une série B. A tel point qu’ils intensifient la moindre action proprement dite : un crissement de pneu, un téléphone qui sonne ou le regard d’un personnage s’affirment dans toute leur violence dramatique. La solidité des interprètes, le classicisme de l’image font le reste : pas un gramme de vanité ne vient alourdir le moindre plan, détail plus qu’honorable en comparaison des encanaillements bourgeois de notre côté de la Manche. C’est sans doute la plus grande force du film : cette capacité à se libérer de son cadre sans lui tordre le cou ni se disperser. Défiance levée. En ces mois maussades, Separate lies vaut indéniablement le coup d’oeil et l’on doit à Julian Fellowes le plus grand respect.