Pour son premier long métrage de fiction, la réalisatrice flamande Patrice Toye nous fait don d’un présent magnifique : une incursion poétique dans l’univers des prémices bouillonnants de l’adolescence. Rosie, l’héroïne du film, a treize ans, âge critique où se font sentir les premiers chambardements désordonnés de cette période charnière. Pour elle, le cap est d’autant plus difficile à passer qu’elle vit au sein d’un univers familial trouble, un monde de secrets dans lequel elle ne doit pas appeler sa mère « maman » mais « sœur », un univers où sourdent de façon latente, la honte d’avoir été une mère jeune, le regret d’avoir perdu son premier amour… Rosie doit composer avec ce passé auquel elle n’a pas participé, mais qui existe et agit sur elle. Quand débarque son oncle, loser sans un sous, et qu’elle doit lui laisser sa chambre, l’ambiance familiale se dégrade. Trop de non-dits entrent en jeu. Alors Rosie rêve, elle danse devant sa glace sur de la musique pop, se maquille et s’habille comme une femme, et surtout, s’invente un amoureux, Jimi.

Intervient alors l’argument principal du film, l’invention par l’héroïne d’un personnage imaginaire qui l’entraîne dans un monde où tout est plus beau, où tout est permis, comme traiter un vieux radin de pédophile ou boire de la bière. La mise en scène de Patrice Toye se module selon qu’elle filme la famille de Rosie ou ses fantasmes. Elle se fait plus brute en captant par les discussions et les conflits, la réalité d’un quotidien difficile dans lequel se côtoient problèmes d’argent et maux de cœur. A l’inverse, les scènes de rêveries de Rosie sont apaisées, proches de scènes d’errance, dans un paysage de no man’s land vaguement inquiétant. C’est sur les gazoducs que la jeune fille a fabriqué son « coin », maison imaginaire où elle vit avec Jimi. C’est avec celui-ci qu’elle danse le soir dans un champ aux couleurs irréelles transformant la scène en tableau onirique. Dans ces moments-là, la musique de John Parish (l’acolyte de PJ Harvey) abandonne ses sonorités expérimentales angoissantes pour entamer une mélodie émouvante, matérialise de manière auditive l’univers de Rosie. Car l’enjeu du film réside là : dans la manière de faire vivre ce qui n’existe pas dans la réalité objective. Patrice Toye a choisi comme dispositif la monstration ; Jimi nous apparaît sous les traits d’un être incarné. La confusion entre la réalité et le rêve subsiste jusqu’à la superbe scène du reflet sur la vitre, dans laquelle coexistent par une surimpression déchirante l’image de Jimi et le reflet de Rosie. Le doute est ainsi levé, Rosie ne parle qu’à son propre reflet, elle est toute seule dans la pièce. A partir de ce moment, la réalité va prendre le dessus sur l’imaginaire par un enchaînement fatal, qui conduit Rosie en maison de correction. Jimi devient invisible, Rosie danse avec le vide.
Si le film de Patrice Toye nous émeut jusqu’aux larmes, c’est parce qu’il constitue, en somme, un hommage poignant à un âge, les treize ans de Rosie, comme Truffaut rendait hommage dans Les 400 coups aux dix ans d’Antoine Doisnel.