Le nouveau film de Neil Jordan (The Crying game en 1992, The Butcher boy en 1997…) n’est pas une réussite dans le genre du thriller horrifique, malgré une bande sonore très soignée, et signée Elliot Goldenthal (à qui l’on doit la B.O. de Drugstore cow-boy et d’Alien 3, entre autres), et quelques passages brillants. Cette fois-ci il ne s’attaque pas aux mythes légendaires des vampires (Entretien avec un vampire, en 1994), des loups (et loups-garous) et des fantômes (High spirits en 1988), mais encore plus angoissant, il choisit un mythe rattaché au monde réel : celui du serial killer.<
Claire Cooper (Annette Bening) illustre des contes pour enfants imprégnés d’imaginaire fantastique qu’elle doit à une âme juvénile et à ses dons de voyance. Malheureusement, ses visions lui rendent la vie infernale dès lors qu’un serial killer kidnappe sa fille et entre en communication avec elle par le biais des mêmes dons de voyance. Ni son mari Paul Cooper (Aidan Quinn) ni le docteur Silverman (Stephen Rea) ne pourront l’aider face à ce phénomène surnaturel…
La démarche -audacieuse- du film est de mêler inextricablement les rêves de notre héroïne à ce qu’elle vit. Claire représente le lien entre rêve et réalité. Les visions traumatisantes qu’elle possède se concrétisent tragiquement. Voilà pourquoi les effets surréalistes et horrifiques du film nous impressionnent, même s’ils répondent à des stéréotypes éculés (un lavabo, depuis son orifice, rejette à la place du sang, de la bouillie de pomme dont la connotation symbolique propre aux contes est censée nous effrayer).
Autant le dire sans attendre : Prémonitions pourrait déconcerter les intransigeants du genre car malgré de surprenants morceaux de bravoure (lorsque la voiture de Claire chute du haut d’un ravin tandis que le corps d’une petite fille remonte à la surface, par exemple), il perd en rythme par des digressions inutiles sur la souffrance du couple, et celle de Claire en particulier. Au lieu de profiter de l’atmosphère hypnotique des rêves prémonitoires créée par le directeur de la photographie Darius Kondji (Seven, Alien 4…), Prémonitions préfère se focaliser sur Claire, qui ne s’exprime, au bout d’un moment, que par des cris, un regard hagard et un comportement convulsif et ambigu (est-elle folle ou non ?). C’est dommage, il y avait là matière à nous terrifier.
Au cinéma, les visions prémonitoires, comme sujet de base d’un film, sont efficaces pour plonger le spectateur dans une angoisse croissante. Grâce à elles, tout peut arriver, selon l’imagination du réalisateur et du scénariste. Le malaise que l’on pouvait ressentir devant ce genre de films était à son apogée avec Les Yeux de Laura Mars (Irvin Kershner, 1978) et Dead zone (Cronemberg, 1983). Prémonitions ne succède malheureusement pas à cette tradition fantastique de prestige. Il semble plutôt vouloir s’illustrer parmi les atmosphères glauques et oppressantes du Silence des agneaux et de Seven, qu’il finit par pasticher inévitablement dans la seconde moitié du film, mais sans atteindre leur vision horrifique et homogène.