Tandis que la face progressiste d’Hollywood bat en ce moment le haut du pavé, le clan des réactionnaires contre attaque. Si Mel Gibson délaisse pour l’occasion la bataille idéologique du 11-Septembre, c’est pour mieux se pencher sur un problème plus interne et sacrément plus personnel : le droit à la vie privée. Ainsi de Paparazzi, thriller sur les prédateurs des pauvres stars dont la loi occulte les tourments. Sujet mineur ? Oui et non. Certes, Monsieur Gibson est seulement producteur, mais il pourrait facilement être l’auteur de ce nanar dégénéré qui charrie ses obsessions à la truelle. Truelle qui en fin de compte s’avère immensément jouissive tant cette grossièreté formelle restitue avec une rare authenticité les pulsions paranoïaques et les cris de rages désordonnés qui bouillonnent sous le crâne de la star la plus cinglée de ces dernières années. Laquelle a d’ailleurs déclaré avoir vengé tous ses confrères grâce au film. C’est dire s’il est d’intérêt public.

On suit donc Bo Laramie, un double bouffi de Gibson (interprété par Cole Hauser, un second couteau aussi expressif qu’un parpaing, après que Tom Cruise, Kurt Russell ou George Clooney aient dit niet) qui voit sa petite vie bien rangée virer au cauchemar le jour où sa carrière décolle. Précisons : l’acteur fait des films d’action, enfin on s’en doute parce que son hit s’appelle Adrénaline force. Autre détail important : Bo Laramie est un brave gars tout simple, sympa et tout, qui vient de la terre. Les chichis, connaît pas. La preuve, il échange toujours deux mots avec la caissière du mini market, aime sa petite femme qui en retour s’occupe de la déco de la cuisine et de Zach, leur fils. Un sacré bout de chou ce Zach, blond platine des tempes aux sourcils, plus irrésistible que Macaulay Culkin. Alors forcément, quand l’infâme Rex le mitraille en train de jouer au soccer sans autorisation, Bo a un gros coup de sang et lui plante son poing dans la gueule. Mais la justice, en bonne aveugle, accable la vedette. La pire des humiliations, c’est qu’il doit consulter une psychiatre. Ça excite davantage Rex qui dérape une fois de trop. Et là, loi ou pas loi, ça va barder !

Ça barde en effet, et Gibson avance à bride abattue. Plus question ici de faire semblant, voire de chuchoter des messages subliminaux. Car de discours, il n’y a plus, le film glisse rapidement de la parabole au défouloir purulent où Bo Laramie se met à tuer à coups de battes de base-ball tout en se jouant des flics. La vengeance passe à l’échelon supérieur : aucune image n’est assez forte pour neutraliser l’acteur, rien ne peut résister à son pouvoir et à sa fureur, pas même un bon flic malin. Le pire, c’est que Gibson le confesse, en bon catho, sans tenter le moindre baratin : quand il fulmine, il ne réfléchit plus, il ne voit ni ne sent plus rien.

Et le film d’être littéralement submergé par une vague de folie : les incohérences de scénario se multiplient, la caricature se boursoufle, la paranoïa atteint un degré ultime (les caméra de surveillance installées par les paparazzi chez Bo). L’impuissance face à la hargne est telle qu’elle génère même une forme de douleur, de frustration : lorsque le film cherche à reprendre ses esprits, tente l’ironie à propos de la dégradation morale du héros, il se fait écrabouiller par la sauvagerie réactionnaire des images en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire.