Sept ans entre La Ligne rouge et ce Nouveau monde : Terrence Malick s’est-il dopé ? Inutile probablement, tant le cinéaste flotte désormais en des sphères inaccessibles au commun de ses pairs. Le Nouveau monde peut d’ailleurs être vu comme le manifeste de cette solitude, qui ne s’enclenche plus comme les autres films de Malick sur la mécanique d’un genre (thriller, mélodrame, film de guerre) mais qui se joue au contraire d’un vieux mythe, celui de Pocahontas, pour s’échapper dès ses premiers plans en Malickland total, jadis entrevu seulement par intermittences. Pocahontas donc, soit la trahison d’une jeune Indienne pour le capitaine Smith au moment où les colons anglais s’installent en Virginie.

L’occasion pour Malick de se frotter au film en costume et à la reconstitution historique ? Pas le moins du monde, tant n’importe chez lui aucun enjeu politique au profit d’une pure et simple extase formelle, opéra cosmogonique où l’hymne à la Nature et l’obsession pour une harmonie perdue règne en toute placidité. Les assez nombreux réfractaires au trips néo babas malickiens risquent bien d’y laisser leur peau, le film entrant dans cette catégorie d’expériences terminales, complètement autistes, imposant au spectateur de pénétrer une bulle de ressassement assez comparable -en ce sens seulement- à l’effet produit par Le Château ambulant de Miyazaki : films de maturité absolue où menace parfois le flottement, un remuement ou étalement tournant un peu à vide, mais où bat jusqu’à plus soif le coeur enfin trouvé de l’oeuvre.

Pour Malick, cela revient à étirer au maximum l’histoire d’amour, jusque dans ses moindres battements, entre Pocahontas et Smith, puis entre Pocahontas et Rolfe, qui lui fait découvrir l’ancien monde au cours d’un voyage en Angleterre. La prise en charge des événements historiques tient en quelques séquences foudroyantes (la bataille entre Indiens et Anglais, suite d’ellipses proche du montage-photo) ou recourant à un expressionnisme déroutant de splendeur baroque (le retour chez les siens de Smith : quelques plans, sons, silhouettes malades dans un no man’s land purulent). Le reste n’est qu’attention souveraine portée à la Nature, aux cycles du désir et des saisons, aux circulations entre monde sauvage et civilisation, une forme de sublime renvoyant moins l’homme à sa condition qu’il ne l’appelle et le nourrit de son éternité.

Le personnage frêle et gracieux de Pocahontas est le tour de force du film, capable de porter l’ensemble du récit sans que jamais ne faiblisse son mouvement. Entre elle et la surpuissance de la mise en scène malickienne (force wagnérienne qui emporte tout sur son passage, sérénité portée par le timbre ténu des voix off) s’installe ce film au faux rythme paradoxal, à la fois fleuve et fil, ligne et trait, projet total et mélodrame à la légèreté prodigieuse. Voici sans aucun doute le film le plus personnel de Malick, élan pur qui tire l’oeuvre vers son extrémité. Qu’on accepte ou non d’entrer dans la danse, impossible de nier que se joue là une forme de permanence et d’absolu du cinéma que seuls quelques maîtres ont pu approcher.