Non que l’on tienne particulièrement à le défendre, ou même à le réévaluer, mais V pour Vendetta possédait un certain charme aux entournures. Quelque chose d’indéfinissable, de singulier, qu’on mettrait bien sur le fait des Wachowski alors à la production. Sur la forme comme sur le fond, le premier film de James McTeigue n’était finalement rien d’autre qu’un appendice à leur trilogie Matrix, une manière d’en expliciter le propos à ceux du fond. Au-delà des plans sursignifiants et autres leçons de choses, s’y jouait donc un théâtre d’ombres équivalent, une geste à la fois figée et hyperfluide qui débouchait sur une drôle d’élégance bouffie (le dernier combat, le finale). Désormais seul en scène, toujours produit par les frangins mais débarrassé de leur héritage, voilà McTeigue en charge d’un pur film d’exploitation, de ninja qui plus est. Un truc parfaitement déraisonnable par endroits (Europol attaquant un repère de ninjas avec bazookas et hélicos ; où est Chuck Norris ?), héroïquement graphique à d’autres (au plus fort des combats, on compte un nombre insensé de trajectoires), qu’on est jamais loin d’aimer et dédaigner dans la même phrase. Ninja assassin ? Un joli brouillon.

Glissons sur l’emballage de direct-to-DVD, cette histoire improbable de ninja renégat pourchassé par les siens pour avoir choisi les forces du bien. Le film, réécrit en catastrophe et 53 heures, porte les stigmates de sa précipitation : dialogues à l’emporte-pièces, structure nanardeuse, intrigue poussive… Ce n’est manifestement, et de toute façon, pas le propos. Le dernier McTeigue s’est débarassé de l’attirail philosophique de V pour n’en garder que mèche au vent et combats amphigouriques. En poussant un peu, l’intérêt de ce Ninja assassin est principalement fonction de son acteur principal, Rain : au repos, c’est regard mi-clos de shar-pei sous tranxène ; en action, c’est Ninja gaiden. Voilà un film qui peut aller vite, très vite, si vite que le chef op ne parvient pas à le suivre ni l’éclairer. Tout l’enjeu formel consiste ici à capter des types trop rapides pour la caméra (ils surgissent de nulle part, se changent en ombre et se téléportent) mais sans jamais tricher ou leur demander de ralentir leur mouvement (remember Bruce Lee). Non, Ninja assassin hurle son illisibilité intrinsèque (le fight dans l’appart éclairé à la lampe de poche, le combat sur le rond-point imbitable), et cherche d’autres solutions pour donner corps à l’action. Solutions qu’il va trouver chez Yoshiaki Kawajiri…

Dans les anime du maître, Ninja scroll idéalement, l’action est le plus souvent elliptique : le début du mouvement (attaque) et sa conclusion (geyser de sang) sont séparés par un effet graphique, une césure lumineuse ou rougeoyante qui fend l’écran en deux. De là, l’énergie pulsative de son cinéma, cette sensation de vitesse permanente qui découle d’un bête axiome : le passage le plus court du 1er plan au 3e, c’est encore de supprimer le second. McTeigue ne procède pas autrement. Et dans ses meilleurs moments (en particulier le dernier mano a mano), Ninja assassin de virer hypnotique : un visage enragé / un geste indiscernable / une gerbe de sang numérique / un membre qui tombe / da capo. Le corps en lui-même disparaît du champ, il devient presque accessoire, d’ailleurs il peut se régénérer à loisir. On ne discerne plus que des mouvements, des couleurs, des entailles, des trajectoires, qui ne laisse pas de fasciner. Mais d’où vient alors ce sentiment de gloubi-boulga rubicond qui ne nous lâche pas tout du long ? C’est que ce genre de mise en scène fragmentaire et graphique exige paradoxalement une impeccable scansion. De Tsui Hark (Seven swords) aux Wachowski (Speed racer) en passant donc par Kawajiri, c’est du rythme que naît la vitesse, le dépassement, le seul enchaînement des plans ne pouvant se passer de la syntaxe ad hoc. Une syntaxe que McTeigue bafouille encore malgré quelques éclairs de style. En l’état, son Ninja assassin ressemble à une copie double bordélique et raturée ; mais indéniablement prometteuse.