Pendant 1 heure et 17 minutes, trois plans se succèdent. Muriel Leferle face à une psychologue, puis face au substitut du procureur, et enfin, face à son avocat, commis d’office. Muriel Leferle a une vingtaine d’années, elle est là pour un vol de voiture. Mais de toute sa vie, avant et après, le réalisateur ne nous montre rien. Tout Muriel Leferle tient là, dans cette simplicité du dispositif qui rend si forte l’évocation du délit, et, à travers lui, de la vie de la jeune femme.
« En montrant l’intégralité des auditions de Muriel, sans couper, j’ai voulu montrer que la force des images peut venir des gens que l’on filme, tout simplement », affirme Raymond Depardon. Avec ce film, il montre bien plus que cela. Bien sûr, sans Muriel, rien ne serait là, mais rien de ce film n’existerait, non plus, sans le regard porté par Depardon sur cette tranche brute de réel. En choisissant de mettre bout à bout le récit trois fois répété de Muriel à des interlocuteurs différents, c’est toute la question de la liberté d’interprétation du récit qui se trouve ici mise en avant. Contrairement au film de Kurosawa, Rashômon, ce ne sont pas plusieurs personnes qui racontent un même événement différemment, mais une seule personne, Muriel, qui adapte son récit à ce que veulent et peuvent entendre ceux qui lui font face. Métaphore de la vie en société, le film évoque aussi ce qui fait la quintessence du récit cinématographique : la diversité des points de vue.
Face à ce « spectacle », le public est en position de comparer chaque version donnée par Muriel, qui se montre tour à tour victime d’une enfance douloureuse, post-adolescente agaçante ou jeune femme incapable d’assumer ses actes. Une personnalité complexe se fait jour progressivement dans Muriel Leferle, nous dévoilant, en filigrane, une partie du fonctionnement du système judiciaire. Le résultat est un film profond, que l’on peut parcourir à divers niveaux de lecture, mais qui est avant tout le portrait haletant d’une femme à découvert…