Il y avait une sorte de bienheureuse évidence à imaginer Cronenberg dresser le portrait du Hollywood contemporain, d’autant que Maps to the Stars semblait devoir poursuivre naturellement le geste commencé par Cosmopolis : la chronique d’une apocalypse caressante, vaporeuse, qui glisse le long des villas et des limousines. La déception n’est pourtant pas loin d’égaler celle éprouvée devant The Canyons de Paul Schrader. L’un comme l’autre semblent condamnés par une véritable incapacité à devancer leur sujet, à s’en saisir pleinement depuis leur propre style plutôt que de se laisser happer par lui. Hollywood par Hollywood : ce sujet avait peut-être plus de raison d’être et de puissance romanesque à l’âge classique, où chaque film résonnait comme une petite entaille sur l’édifice de la fiction. Le commentaire de soi, c’était le sacrifice qu’Hollywood se devait à lui-même, une sorte d’expiation nécessaire pour relancer la machine à fictions. Et en même temps, cette conscience de soi a toujours été malheureuse, donnant à voir les premières lueurs d’un crépuscule consenti.

Quelle peut bien être la fonction d’un Maps to the Stars ou d’un The Canyons, à l’heure où crépuscule et conscience malheureuse sont depuis longtemps consommés, à l’heure où la télévision et les reality show sont imbattables en matière d’obscénité et ont même quelques images d’avance sur le cinéma ? Devant Maps to the stars, on ne peut s’empêcher de penser à Spring Breakers, dernier film devant lequel on arrivait à se dire que le cinéma savait encore regarder la télévision, et qu’il pouvait même, en la regardant, nous donner le pouls du cinéma à venir.  Mais Maps to the Stars ne se donne pas tout à fait les mêmes ambitions que Spring Breakers,  même si un sujet les rapproche, un sujet proprement américain : l’innocence, à l’heure où les enfants eux-mêmes en ont perdu la clef.

Sur le papier, il y avait ici la promesse d’une mise à jour du Hollywood movie, mêlant self-improvment et reality show domestique, jus de légumes et cocaïne – bref, tout ce qui fait la cuisine habituelle de n’importe quel reality show californien. Problème : ce qu’une quelconque émission capte sans effort, Maps to the Stars s’épuise à le mettre en place, et à devoir constater cette pornographie nihiliste : un enfant-star de 13 ans qui fait une désintox, une star vieillissante qui se réjouit de la mort du fils de sa rivale, etc. Les exemples s’enchaînent, les dialogues font excessivement étalage de leur vacuité : le name-dropping fuse, les personnages parlent une langue aplatie et mutante qui provoque chez le spectateur une connivence malaisante, cette connivence qui s’appuie sur la proximité factice entre le public et les stars, commencée avec la presse people et entretenue avec Internet – c’était déjà le sujet (mal-traité) de The Bling Ring. Cette langue impure, Cronenberg savait brillamment la mettre en scène dans Cosmopolis, qui fleurissait sur une bizarrerie de chaque plan, une étrangeté paradoxalement trouvée dans l’extrême tenue et rectitude de ses plans, dans la pâleur du jeu d’acteur. Le trouble ressenti devant Cosmopolis, sorte de pub Dior qui finit mal, tenait entre autre à ce que le jargon technique des personnages finissait par retentir pour lui-même, Pattinson s’exprimait poétiquement avec ce langage vicié, pétrifié, donnant le sentiment d’être nostalgique d’une époque où la langue et lui-même pouvaient encore s’enflammer.

En principe, les films de Cronenberg finissent tous envahis par une espèce de lave venue contaminer la surface glacée et placide du récit. Dans Maps to the Stars, cette viralité reste un vœu pieux, à la fois à cause de la médiocrité du scénario, mais également du ton choisi par Cronenberg. Un ton dicté par le jeu hystérique de Julianne Moore, campant ici une sorte de vieille Lindsay Lohan, et dont le rôle rappelle celui qu’elle avait dans Short Cuts d’Altman. Cette hystérie va à l’encontre de la rétention chirurgicale, quasi-puritaine à laquelle nous avait habitué Cronenberg, et qui donnait le sentiment de le voir filmer exclusivement dans des salles d’opération désinfectées (c’est ce qui était beau dans A Dangerous method, film pacifié, hygiéniste sur la psychanalyse, les rêves, l’hystérie).

Maps to the Stars souffre au fond de préférer systématiquement la monstration à la rétention : les héros de Crash étaient déjà hantés par James Dean, mais tout se passait sous la peau ou dans l’électricité de l’air. Ici les fantômes sont exhibés, et peut-être parce qu’ils débarquent en pleine désillusion généralisée, au milieu d’autres fantômes qui sont eux bien humains, leur capacité de trouble est proche du néant. Nulle fiction, nulle poésie ne peut naître de la platitude assumée de Maps to the stars, qui est autant mauvais commentaire (le personnage de Julianne Moore) que mauvaise fiction (celui de Mia Wasikowska), comme si Cronenberg avait essayé en vain de faire pousser Twixt sur le terreau de Somewhere, de faire un film sur l’enfance abîmée par un mal qui aurait le visage de Hollywood : c’est ce que porte sur ses épaules l’excellente Mia Wasikowska, enfant blessé qui rappelle la Lisbeth Salander de Fincher. Le film d’ailleurs se termine sur elle, filmée en plongée, allongée près de son frère (plan revenu presque à l’identique de Restless de Gus Van Sant, autre film de fantômes et d’innocence).  L’erreur de Cronenberg a peut-être été de croire que sous le soleil glacé de Hollywood, les cœurs purs et la fiction se défendraient d’eux-mêmes.