Alors que l’engouement pour l’animation japonaise en Occident n’en était qu’à sa préhistoire et que les (rares) informations sur les réalisateurs nippons ne filtraient guère au-delà du microcosme des passionnés, le nom de Rintarô résonnait comme une formule magique. Pensez-donc : l’homme qui avait réalisé la première série TV d’Albator (celle avec les Sylvidres), les longs métrages tirés de Galaxy express 999 et signerait plus tard Metropolis trônait, dans le coeur des fans français au panthéon des grands réalisateurs d’anime, aux côtés de Miyazaki, Oshii ou Otomo. Avec le recul dont nous disposons aujourd’hui, Rintarô apparaît davantage comme un faiseur que comme un véritable auteur, ayant quasiment consacré sa carrière à l’adaptation de mangas ou de romans à succès, son véritable talent étant d’avoir su fédérer des illustrateurs de premier ordre (Komatsubara pour la création des personnages d’Albator, Otomo pour ceux d’Harmageddon, etc.) et d’avoir eu la curiosité de se couler sans cesse dans des styles graphiques et des univers d’auteurs très divers. Quant à sa patte personnelle, elle se résume à quelques tics de réalisation hérités de l’animation TV et un en particulier : les éclairs de couleurs fluorescents dont il use et abuse pour pallier au statisme de ses personnages signent plus sûrement ses oeuvres que l’apparition de son nom au générique.

Ceci étant établi, il n’est pas interdit de trouver de l’intérêt à certaines de ses réalisations ni de ressentir de la sympathie pour cet artisan sans prétention, venu à l’animation par défaut, comme en témoigne l’interview qui constitue l’unique bonus du double DVD d’Harmageddon (1983). Le réalisateur y fait preuve d’une remarquable lucidité, balayant l’idée d’un « style Rintarô » d’un revers de main (« Je connais mes limites », lance-t-il avec une franchise désarmante), préférant mettre son savoir-faire, acquis chez Mushi Pro (le studio d’animation créé par Osamu Tezuka), au service d’histoires et de styles graphiques ayant retenu son attention, dans un quête vers une forme de divertissement populaire typiquement japonaise, qui ne doive rien à la narration hollywoodienne. « Nous sommes tous un peu anti-américains », confesse-t-il dans un rire gêné… Quant à Harmageddon, il s’agit d’un long métrage dont les ambitions initiales ne l’empêchent pas d’apparaître terriblement daté : trop long (2h20), plombé par la partition au synthétiseur de Keith Emerson et des situations qui frisent sans cesse le ridicule, le film vaut surtout aujourd’hui comme témoignage des premiers pas de Katsuhirô Otomo dans le domaine de l’animation. On voit bien ce qui a séduit le futur réalisateur de Steamboy, alors dessinateur de BD au sommet de son art (la publication d’Akira a débuté en 1982) dans cette saga fantastique qui met en scène un adolescent doté de super-pouvoirs, plongé malgré lui dans une guerre d’envergure cosmique. Impossible néanmoins de se passionner pour un récit dont l’unique enjeu dramatique se limite à la sempiternelle lutte du Bien contre le Mal, et que l’ambiance visuelle (couleurs, costumes, décors) désespérément eighties ne permet pas de rehausser. Sorti quatre ans plus tard directement en vidéo, Manie Manie fait bien meilleure figure aujourd’hui, sur le fond comme dans la forme : Satie et Bach remplacent avantageusement Emerson pour la partie sonore et Rintarô a le bon goût de s’effacer partiellement au profit de Yoshiaki Kawajiri (Wicked city) et d’Otomo, qui se voient chacun offrir d’adapter une nouvelle de l’écrivain de SF Taku Mayumura (le film est produit par la maison d’édition Kadokawa), que l’on croirait écrite spécialement pour eux. Evoquant Rollerball de Norman Jewison, Running man permet à Kawajiri, fidèle à sa faconde gore et bodybuildée, de réaliser un saisissant exercice de style autour de la thématique de l’effort mental et physique, montrant un coureur automobile allant jusqu’à défier la mort par la seule force de sa volonté, au mépris de son enveloppe charnelle. A noter que Kawajiri approfondira quinze ans plus tard le même motif, signant le scénario similaire du court métrage World record (2003), l’un des meilleurs segments de l’omnibus Animatrix. Evoquant plutôt quant à lui les nouvelles d’Asimov ou Bradbury, le court métrage signé Otomo (Arrêtez les travaux !) est une amusante variation sur le thème de la créature – ici des robots chargés de construire une mégapole perdue au fin fond d’une forêt vierge – qui échappe à son maître, par un excès de zèle absurde. Un segment à l’animation foisonnante, véritable matrice, sur le plan esthétique, du long métrage tiré d’Akira, qui sortira un an plus tard sur les écrans japonais, dans ses incontestables réussites – un rendu ultra-détaillée de l’univers urbain, ici en décomposition – comme dans ses échecs: les personnages humains manquent d’assise et semblent parfois « flotter », ayant également tendance à s’agiter inutilement, notamment au niveau du visage ; les robots, eux, sont absolument parfaits. Quant à Rintarô, également producteur de l’ensemble, il se contente, fidèle à sa vocation de passe-plat, de réaliser les séquences d’ouverture et de clôture du film. Même si la première aurait sans doute gagnée à être plus resserrée, et que le choix de certains éléments visuels peut agacer (le personnage du clown surtout, issu d’un cirque funèbre, véritable tarte à la crème dès qu’il s’agit d’évoquer les peurs enfantines), cette relecture d’A travers le miroir est sans doute son oeuvre la plus personnelle, dans la mesure où il en a écrit lui-même le script, portée qui plus est par une grande liberté formelle : impossible pour le spectateur non-averti de deviner l’origine géographique de ce segment, fait rarissime au sein de l’animation japonaise mainstream, très marquée visuellement par des styles établis. Un segment qui a été inspiré à Rintarô par certains souvenirs d’enfance, comme il l’explique dans l’entretien déjà évoqué, se permettant, peut-être pour l’unique fois de sa carrière, de s’exprimer avec sa propre voix, sans se dissimuler derrière celle d’autrui. A la vision de Manie Manie, on ne peut que déplorer qu’il n’ait pas eu l’occasion, ou le courage, de le faire plus souvent.